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Ink, l’empreinte marquante de Dimitris Papaioannou au Théâtre de la Ville

Von , 16 Mai 2024

Dimitris Papaioannou est de retour à Paris au Théâtre de la Ville avec sa nouvelle création, Ink, initialement conçue en 2020 et finalement achevée en 2023. Cette œuvre très intime, dans laquelle le chorégraphe grec se met en scène dans l’eau trouble de ses propres fantasmes, et interprète lui-même l’une des deux figures de la pièce, est peut-être sa création la plus introspective. Resserrée autour d’une narration concise et d’un dispositif scénique épuré, qui tranche avec la profusion de sa précédente création Transverse Orientation, Ink est la démonstration éloquente de son génie scénographique, capable de faire surgir de l’ombre un univers visuel chimérique et incroyablement pictural, avec un simple jet d’eau, des bâches en plastique et les intermittences de l’ombre et de la lumière.

Dimitris Papaioannou dans Ink
© Julian Mommert

Au début de la pièce, de l’eau jaillit d’un tuyau, inondant le sol et irisant l’air. Dans le bouillon d’eau qui grossit, un homme vêtu de noir se tient seul – Papaioannou. Il se saisit d’un bocal de verre rond, et comme une lune étincelante, précieuse, le porte au-dessus de sa tête pour le remplir de cette eau vive qui gicle en l’air. L’onde de la mare qui se forme au sol se réverbère sur les murs de la salle, et les rideaux de plastique, semblant d’argent sous l’effet de l’éclairage, bruissent faiblement. Dans cette vision irréelle, diaprée d’une lumière sidérale, on retrouve l’esthétique de L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, l’une des nombreuses sources d’inspiration d’Ink.

Comme dans toutes les pièces de Papaioannou, des hommes se tiennent debout face à un destin qui se réalise, tel un périple mythologique. Dans Ink, l’homme en noir rencontre l’homme nu, s’y confronte et y lie son sort. L’arrivée de l’homme nu – Šuka Horn, qui offre peut-être la plus stupéfiante entrée en scène jamais vue – convoque d’ailleurs l’idée de naissance. Un corps nu, rampant, s’immisce sur la scène en décollant la membrane translucide qui la tapisse. De l’eau s’infiltre dans la bulle qui l’entoure, évoquant l’image d’un fœtus. Aux prises entre l’envie de domination et le désir, l’homme en noir voit surgir ce corps avec toute l’ambivalence de la nature humaine. Lorsque le corps émerge de son enveloppe, les deux hommes se découvrent dans la violence d’un combat. L’homme en noir utilise l’un des panneaux en plastique qui formaient la bulle pour emprisonner et dompter cette nature sauvage qui se révèle à lui. Le corps diaphane du jeune homme, enserré et contraint, s’ébroue pour retrouver sa liberté, en vain.

Dimitris Papaioannou et Šuka Horn dans Ink
© Julian Mommert

Un deuxième moment naît alors, plus tendre : l’homme en noir offre une deuxième naissance à son partenaire en lui versant de l’eau sur le visage et les deux hommes s’ébattent. On entend le tintement d’une musique grêle, tandis qu’une boule à facettes scintille dans la salle. Symbole de sensualité, un poulpe revient sans cesse sur scène, marquant de son encre concupiscente les corps, recouvrant leurs parties génitales, et semblant s’emparer d’eux. Ce poulpe-désir est aussi porteur d’un instinct de mort. À un moment, l’homme en noir et son poulpe engendrent un nouveau-né, qui termine englouti : mis sous une cloche de verre singulièrement glauque, il est dévoré par son père, évoquant ici Chronos l’infanticide.

De cette nature violente de l’amour, Papaionnou met avant tout en scène la velléité vaine de l’homme pour l’apprivoiser. Dans une scène baignée de rouge, où retentissent d’étranges castagnettes et des sons orientalisants, Papaioannou revêt une veste de cirque et s’efforce de dompter l’homme nu, en utilisant le tuyau d’arrosage comme un fouet. Montreur d’ours ridicule, il harnache le corps de l’homme nu et le balance dans les airs. Mais dans une scène finale, l’homme nu s’élève triomphant sur une table et tempête de tout son corps, dominant la salle tel un grand singe. L’homme noir revient alors au-devant de la scène et jette par terre son poulpe-coulpe, puis le ramasse et recommence, tel un Sisyphe lancinant.

*****
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Ink est la démonstration éloquente du génie scénographique de Papaioannou”
Rezensierte Veranstaltung: Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Grande Salle, Paris, am 13 Mai 2024
Ink (Dimitris Papaioannou)
Dimitris Papaioannou, Bühnenbild, Kostüme, Licht, Tänzer
Šuka Horn, Tänzer
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