Tandis que la vindicte parisienne ne cesse de jeter l’opprobre sur les Jeux Olympiques à venir, L’Olimpiade de Vivaldi, elle, est à la fête au Théâtre des Champs-Élysées. Aux commandes de cette nouvelle production, Emmanuel Daumas signe son premier opéra sous les auspices de l’amalgame des genres : fusion de l’art et du sport, des performances vocale et athlétique, du chant et de la danse en un maelstrom débridé, volontiers fantasque, au risque de tomber parfois un peu à côté de la plaque.

Justaucorps moulants et échancrés, pectoraux saillants et biceps bombés défilent donc avenue Montaigne : la palestre, tout droit sortie des années 80, dans laquelle se déroule l’acte I fleure bon le cours d’aérobic façon Gym Tonic, dont on sent d’ici les effluves de talc et de testostérone, les relents de sueur et d’huile de corps. Entre les tatamis et autres chevaux d’arçons s’agite le postiche blond de Licida, prince aussi chétif que capricieux, qui enjoint son ami Megacle – amateur de gonflette – à concourir en son nom aux olympiades afin d’obtenir la main d’Aristea, fille du roi Clistene. Seul hic, Licida – déjà engagé avec Argene – ignore la liaison de Megacle et Aristea…
Sur ces quiproquos, Emmanuel Daumas jongle habilement entre les influences : décors à la Tiepolo aux actes II et III, fantasmagorie fellinienne (celle du Satyricon et de Casanova) pour les costumes, compositions picturales dignes de Jacques-Louis David dans ses Serments (des Horaces ou du Jeu de paume). L’Antiquité est ici dévoyée, hallucinée, fantasmée, mais si séduisante que l’on ne peut qu’adhérer aux incohérences de cet univers baroque, à la fois burlesque et poétique, constamment tiraillé entre virilisme grotesque et homoérotisme absurde.
Agrémenté de gymnastique, d’acrobaties et de chorégraphies exécutées par cinq danseurs roulant des mécaniques, ce fourre-tout composite offrira même à Jakub Józef Orliński un podium pour faire valoir ses talents de breakdancer. Une vraie revue de music-hall ! Hélas, l’enchaînement des numéros ne participe pas à mettre les voix en valeur et finit par disperser l’attention – notamment dans « Sta piangendo la tortorella », lorsque les prouesses de Quentin Signori aux anneaux remisent l’air d’Aristea au rang d’accessoire.
Car ce superbe spectacle de cabaret ne fait mouche que tant que l’on considère L’Olimpiade par sa seule dimension comique. Or, c’est justement dans l’alternance du buffa et du seria que réside le caractère propre à ce dramma per musica, ici amputé de l’une de ses jambes. Parfois claudicante, la mise en scène se laisse alors aller à des subterfuges un peu faciles et systématiques dans les airs les plus recueillis : diminution de la lumière, ralentissement du tempo, suspension de l’action, autant de fractures qui rompent l’irrésistible élan musical. L’astuce devient attendue et finit par lasser.
La fosse, parfaitement alignée à la scène, tombe dans le même écueil. Pourtant, l’Ensemble Matheus enchante par la variété sonore dont il est capable : tantôt vrombissants, tantôt d’une extrême fragilité, toujours d’une précision et d’une homogénéité admirables, les instruments d’époque électrisent la partition de Vivaldi. À la direction, Jean-Christophe Spinosi soigne les contrastes et les ruptures dramatiques, trouve le souffle du théâtre tout en se réservant une grande liberté interprétative. Mais en étirant parfois outrageusement les tempos sans installer la nervosité nécessaire, le chef peine à maintenir l’intérêt dans les passages méditatifs, à l’instar du « Mentre dormi » de Licida.
Il faut dire que dans ce dernier air, le contre-ténor Jakub Józef Orliński, un brin contraint dans les aigus, se montre moins inspiré vocalement que scéniquement, se contentant de survoler sa ligne de chant sans beaucoup d’inventivité ni d’imagination. On préfère de loin le Megacle de Marina Viotti, qui décidément sait tout faire : généreuse mais sans inertie, conjuguant la longueur de la ligne à la finesse des ornementations, la mezzo fait merveille dans la sensualité de ses airs comme dans l’intimité de son duo avec Aristea – incarnée par une Caterina Piva riche en médiums et tout aussi magnétique.
On ne peut pas en dire autant de Delphine Galou, qui manque cruellement de volume en Argene, ni d’une Ana Maria Labin au souffle court et aux coloratures difficiles, dont le déficit de charisme plombe les réflexions mélismatiques de son Aminta. On se consolera donc plus volontiers avec l’Alcandro bouffe et aigre-doux de Christian Senn, ou avec le Clistene tout en caractère de Luigi De Donato.