La Belle au bois dormant est tirée de son sommeil une fois par décennie : le retour à Bastille de l'œuvre muséale de l'Opéra de Paris a sonné ! Fastueux par essence avec ses trois heures de danse, ses variations académiques, son univers grand siècle et son intrigue d'un autre âge, ce ballet est la cible implicite de tous les reproches adressés à l'héritage chorégraphique du XIXe siècle. Pourtant, il recèle bien des splendeurs.

Il y a bien sûr la musique absolument féérique de Tchaïkovski, tissée de grands ensembles majestueux et d'inserts plus inquiétants où le danger affleure, convoquant nos peurs enfantines. Il y a aussi cette fin heureuse qui consacre le triomphe des forces du bien sur celles du mal. Mais il y a surtout le grand cachet de la production léguée par Rudolf Noureev, alliance d'une esthétique bon chic bon genre à la française et d'un propos un peu plus introspectif, chéri par les élites.
En ce soir de première, ce sont les jeunes étoiles Bleuenn Battistoni et Guillaume Diop qui défendent La Belle, portés par l'écrin rutilant du corps de ballet. Tant par sa danse propre et polie que par son expression sobre et bienséante, l'Aurore de Bleunn Battistoni rend hommage au fameux style de l'école française, où l'emphase et la démesure sont bannies. Cette approche sied à l'esprit d'un ballet dédié à la préservation d'un ordre divin comme apollinien, socle de l'Ancien régime.
Guillaume Diop s'impose en Prince par des lignes éminemment nobles, pas de doute, il est de haute naissance, mais il se meut à la manière d'un faon apprivoisant sa puissance. Il imprime ainsi le rôle à sa manière, son Désiré montre une fougue sensible, une candeur fragile dans ses solos. Affranchie des canons du virilisme, cette interprétation instille un début d'équilibre entre les rôles genrés de l'homme, vaillant chevalier, et de la femme, vierge alanguie.
Tous les deux mimés dans cette version, les personnages des fées antagonistes Carabosse (théâtrale Katherine Higgins) et Lilas (poétique Fanny Gorse) éclairent et structurent une intrigue facilement parasitée par la profusion des petits rôles, symboles d'une cour tentaculaire à la botte du Roi. Les nombreuses fées, pierres précieuses et groupes masculins se dégustent cependant comme des mignardises légères et croustillantes, jamais écœurantes.
À améliorer toutefois, la musicalité reste lestée par la complexité de certains pas, pesant comme un contretemps sur la danse. La variation a tendance à tourner à la démonstration et l'effort, parfois visible, donne des sueurs froides pour le compte des danseurs.
Après trois actes à contempler la farandole des tutus pastel dignes de l'univers Ladurée, le scintillement du satin des pointes, les dorures des grilles d'un palais somptueux ou l'entrelac des ronces sur la cour assoupie, on se réjouit d'avoir goûté à ce plaisir coupable qu'est le conte de fées dansé. Aurore, signifiant de l'espoir, et Désiré, de l'attente, semblent scander pour nous la maxime d'un autre chef-d'œuvre récemment réhabilité par le cinéma : « Attendre et espérer ! »... jusqu'à la prochaine reprise du ballet.