Sur un livret de Francesco Maria Piave, La Forza del destino de Verdi est une histoire de sombre vengeance qui s’étend sur de nombreuses années. Don Alvaro aime Leonora mais le père de cette dernière, le marquis de Calatrava, leur interdit de se marier. La mort accidentelle du marquis oblige les amants à prendre la fuite. Mais le destin sépare le couple alors que le frère de Leonora s’acharne à venger l’honneur de la famille, cette obsession se terminant en tragédie.

En coproduction avec le Teatro Regio de Parme et l’Opéra de Toulon, la réalisation visuelle de cette Forza del destino proposée à l'Opéra de Montpellier a été conçue il y a deux ans par Yannis Kokkos, pour l’édition 2022 du Festival Verdi à Parme. Les relectures hardies ou transpositions radicales ne sont pas dans les habitudes du metteur en scène grec qui signe ici une illustration de l’ouvrage sur fond de rares éléments de décors géométriques et projections vidéo en fond de scène, comme ces belles images de ciel sombre et nuageux.
En passant du Teatro Regio au très vaste plateau de la salle du Corum, les scènes de foule s’y déploient confortablement, mais les solistes seuls peuvent paraître un peu perdus par séquences, par exemple pendant le court premier acte meublé uniquement de quelques chaises. Il faut reconnaître cependant l’efficacité de la scénographie pour enchaîner très rapidement entre les tableaux successifs et suggérer les lieux, comme la croix amenée sur scène et l’ombre du monastère projetée à l'acte II, les squelettes d’immeubles détruits au III, ou encore les formes de rochers qui encadrent l’ermitage de Leonora à la conclusion de l’opéra.
La distribution vocale est globalement hétérogène en qualité, les deux meilleurs titulaires défendant toutefois les deux rôles principaux. La soprano mexicaine Yunuet Laguna charme instantanément en Leonora. La voix est fraiche et très précise musicalement, proposant un joli timbre aérien, facile dans l’atteinte des aigus et qui sait varier à loisir les nuances. L’instrument n’est pas surpuissant, mais la chanteuse bénéficie de la constante attention du chef et s’épanouit en dégageant par ailleurs beaucoup d’émotion, comme au cours de son splendide dernier grand air « Pace, pace mio Dio ».
En Alvaro, le ténor franco-tunisien Amadi Lagha fait preuve d’une bonne forme vocale. Timbre ensoleillé, style élégant et aigus projetés avec vaillance, le chanteur fait preuve d'un engagement de tous les instants qui nous fait oublier de fugaces approximations d’intonation, surtout en début de représentation. Le baryton Stefano Meo en Don Carlo ne procure pas la même satisfaction, chantant certes dignement la partition, mais manquant de puissance et d’aura, dès son premier grand air « Son Pereda », aux aigus un peu tendus. Également sensiblement effacé, Jacques-Greg Belobo ne convainc pas davantage dans le rôle épisodique du marquis de Calatrava, tandis que l’autre basse Vazgen Gazaryan fait meilleure figure en Padre Guardiano, d'un timbre au beau creux dans le grave mais qui semble précautionneux lorsqu'il faut enfler certaines notes.
D'autres emplois sont pourvus avec davantage de panache, comme la première Preziosilla d’Éléonore Pancrazi qui montre un fort abattage, à la fois vocal et scénique, et donne un brillant particulier à ses notes aiguës. Le Melitone de Leon Kim est aussi bien en situation, d'une voix dynamique et drôle en scène, à qui il manque sans doute une petite dose de vis comica à l’italienne pour nous faire sourire encore plus. On remarque aussi le Trabuco bien sonore du ténor Yoann Le Lan, instrument ferme qu’on a hâte d’entendre dans des rôles plus développés.
Tout nouveau directeur musical de l'Opéra Orchestre national Montpellier, Roderick Cox obtient le meilleur de ses musiciens en déroulant une lecture d’un subtil équilibre. Dès l’ouverture, le chef américain parvient tout aussi bien à détailler avec clarté les parties de bois, que donner un air plus solennel aux cuivres par des tempos ralentis, ou encore faire briller les tuttis, mais en gardant toujours le contrôle du volume. Les Chœurs de l'Opéra national Montpellier Occitanie et de l’Opéra de Toulon assurent eux aussi une bonne et énergique prestation globale, quelques petits flottements de cohésion rythmique chez les hommes mis à part.
Le déplacement d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie.