L’enthousiasme à l’état pur : face à une Salle Cortot pas tout à fait pleine mais chaleureuse, Le Consort a choisi de réaffirmer ce qui fait son identité. Dans un programme issu de leur dernier disque, Specchio veneziano (« miroir vénitien »), les musiciens font dialoguer les sonates en trio de deux compositeurs de la Sérénissime du XVIIIe siècle, Reali et Vivaldi, en un duel aussi savoureux que virtuose.

Le Consort
© Julien Benhamou

Dès les premières notes de la Sonate op. 1 n° 1 de Vivaldi, on est saisi par une approche vraiment globale de l’œuvre : avant tout, les quatre musiciens soignent l’équilibre des voix. Le premier violon de Théotime Langlois de Swarte, presque éthéré dans les passages les plus doux, laisse passer sans difficulté le second, affirmé, de Sophie de Bardonnèche. Tous deux savent se fondre dans le son plein du violoncelle de Hanna Salzenstein, qui s’appuie à son tour sur la limpidité du jeu de Justin Taylor au clavecin. Cette recherche permanente d’homogénéité permet des contrastes marqués, comme dans le Grave, mais elle offre aussi la possibilité de construire une tension insoutenable avec une grande économie de moyens (Adagio). Pourtant, elle n’occulte aucunement le caractère foisonnant de l’écriture, à laquelle l’ensemble donne une fraîcheur juvénile : les attaques nettes des deux violons permettent un jeu de questions-réponses enlevé ; le clavecin aux arpèges liquides de l’Adagio se fait rebondissant dans la Gavotta, comme pour accompagner la danse.

Préservant la fluidité du programme avant tout, les musiciens enchaînent le Largo de la Sonate pour violoncelle n° 5 avec la Sinfonia IV de Reali. Si le premier semble forcément un peu trop sobre lorsqu’il est confronté à la seconde, il donne tout de même l’occasion d’admirer le legato sans faille de Hanna Salzenstein, qui appuie généreusement les changements d’harmonie sans jamais alourdir la phrase. Plus exubérante, la pièce de Reali est ici théâtralisée : jeux d’écho entre les deux violons dans le premier mouvement, mise en avant du premier violon dans l’Allegro puis du clavecin dans le Grave, et enfin caractère franchement dansant, voire syncopé, du dernier mouvement. Le même enthousiasme guide les quatre musiciens dans la Sonate VIII, dont le caractère espiègle est encore accentué par les longs silences qu’ils y laissent pour intriguer leurs auditeurs ; puis dans La Bergamasca d’Uccellini, où ils semblent s’appuyer sur la naïveté de la basse obstinée pour s’amuser dans un dialogue infini, dont chaque inflexion est partagée.

Présenter les pages jubilatoires de Reali n’empêche pas de les confronter à d’autres, plus intérieures : les mouvements lents des Sinfonias VI et X illustrent notamment la capacité du violoncelle et du clavecin à se fondre l’un en l’autre pour accentuer le caractère solennel de certains mouvements, comme à prendre la parole individuellement pour instaurer une atmosphère plus recueillie. Les deux violons, parfois complètement suspendus dans les passages les plus éthérés, font également preuve d’une complicité impressionnante.

Le Consort
© Julien Benhamou

Après ces dialogues si bien menés par les quatre musiciens, chambristes accomplis, l'arrangement pour clavecin seul du Larghetto du Concerto pour hautbois de Marcello par Bach semble d’abord un peu austère. Pourtant, impossible de rester de marbre face à l’aisance merveilleuse de Justin Taylor dans l’ornementation du thème, qui offre une respiration finalement bienvenue dans un programme riche et virtuose. Et surtout, impossible de ne pas se laisser emporter par la basse de Bach lorsqu’elle semble déboucher tout naturellement sur celle de La Follia de Vivaldi...

Car la confrontation des deux compositeurs vénitiens culmine bien dans celle de leurs deux Follias – deux sonates construites sur la même basse obstinée, en un ensemble de variations à la fois inventives et spectaculaires. Deux Follias dont les premières minutes laissent d’abord croire à un emballement inarrêtable, à la fois dans la nuance et dans le tempo, avant d’introduire de brusques changements d’atmosphère avec des sections plus recueillies. Deux Follias qui sont surtout l’occasion de réaliser la puissance des progressions dynamiques organiques que sont capables de construire les quatre musiciens, qui connaissent ce répertoire par cœur, survolent les difficultés techniques – notamment d’archet – et peuvent ainsi consacrer toute leur énergie à communiquer les uns avec les autres. Alors, qui l’emporte, de Vivaldi ou Reali ? Le caractère endiablé du premier est séduisant, mais le second a le charme de la nouveauté… Il faudra réécouter encore et encore Specchio veneziano pour se faire un avis sur la question.

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