Le programme annonce « Bouquet final » pour le dernier concert à Paris de Mikko Franck comme directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, au terme d'une décennie de mandat. Pourtant on cherchera en vain le feu d'artifice et même les bruits de la fête dans une soirée somme toute bien sage, pour ne pas dire morose. 

La présidente de Radio France a beau rappeler les dilections du chef pour ses compatriotes finlandais (Rautavaara, Sibelius dont une fascinante intégrale en 2024), Chostakovitch ou César Franck, on n'en entendra pas une note. C'est le chef lui-même qui a, semble-t-il, assemblé un programme pour le moins composite, dont on perçoit mal les lignes de force, sauf à vouloir démontrer la versatilité, la variété des goûts et des répertoires qui ont toujours caractérisé son art.

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Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Bonne idée en soi que d'ouvrir avec une partition chorale de Gustav Holst, dont on ne connaît et ne joue que sa grande machine orchestrale Les Planètes ! D'autant que ses trois Hymnes choraux op. 24 inspirés du texte fondateur de l'hindouisme, le Rig Veda, outre qu'ils mobilisent le Chœur de Radio France et l'orchestre en grande formation, révèlent un aspect vraiment inconnu de l'œuvre et de la passion pour l'Inde antique du compositeur britannique.

Las, l'Auditorium de Radio France va vite démontrer les limites bien connues de son acoustique : dès les premiers accords massifs de l'« Hymne de guerre », la saturation est là. Côté public, on reçoit un déferlement qui semble mal contrôlé par le chef qui pousse ses musiciens dans leurs limites extrêmes. Le temps de souffler un peu avec le second hymne « au Dieu inconnu » où le chœur, parfois à découvert, accuse quelques problèmes de justesse et de décalage, et pour bien plomber la soirée, chœur et orchestre redonnent de la voix pour un « Hymne funèbre » tout engoncé dans la pompe victorienne.

Jean-Yves Thibaudet, Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France © Christophe Abramowitz / Radio France
Jean-Yves Thibaudet, Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Après cette entrée en matière pour le moins déconcertante, changement de décor musical. Ce qui était un peu le cheval de bataille de l'orchestre voisin, le National, et de solistes comme Bertrand Chamayou, le Cinquième Concerto pour piano dit « Égyptien » de Saint-Saëns nous est proposé sous les doigts de Jean-Yves Thibaudet. La virtuosité du pianiste français installé à Los Angeles est manifeste, la maîtrise d'une partition où Saint-Saëns multiplie les chausse-trappes est réelle... mais quel contraste avec le sérieux d'un accompagnement où l'on tente en vain d'entendre les trouvailles d'orchestration ! Jean-Yves Thibaudet revient sur scène pour dire qu'il tenait à être de cet hommage à Mikko Franck et pour jouer... la Pavane pour une infante défunte de Ravel. Fin de première partie en forme de mortelle randonnée !

La deuxième partie commence par une surprise : un praticable, une chaise de piano, deux micros devant. Sol Gabetta vient jouer l'Élégie de Fauré, histoire de ne pas changer d'atmosphère. Embrassades avec le chef, avec qui la violoncelliste argentine a souvent travaillé. Ce sera la seule incartade de la soirée. Suit une pièce d'orchestre de la jeune compositrice française Camille Pépin, écrite pour le Philhar' et son chef et créée en 2023. Consonant, confortable, illustratif, le propos ne dérangerait pas l'amateur de documentaires sur la nature et le réchauffement climatique. C'est d'ailleurs ce qu'illustre cet Inlandsis qui réunit un peu de John Adams dans l'aspect répétitif, d'Alexandre Desplat dans l'évocation atmosphérique, et in fine de Bernstein dans le déhanché des dernières mesures. 

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Sol Gabetta, Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Enfin Richard Strauss dont on avait un souvenir ébloui en juin 2014 pour les débuts de Mikko Franck à la tête des Wiener Philharmoniker. Dix ans ont passé, qui ont singulièrement assagi et l'inspiration et la gestique du chef. C'est un Don Juan plutôt rhumatismal, où l'on peut certes admirer la parfaite homogénéité des pupitres de cordes, les violoncelles en particulier, la solidité d'un pupitre de cors qu'on eût aimé plus extravertis. Mais encore une fois, étrange idée que de conclure un « bouquet final » par une œuvre qui s'achève par la mort du héros ! Et malgré l'ovation du public et des musiciens et les bouquets de fleurs, on en restera là. Dénouement abrupt d'un règne de dix ans, qu'il faudra prendre le temps d'apprécier, mais qui n'a pas été un long fleuve tranquille, loin s'en faut.

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