Joli symbole que d’inviter le Nederlands Dans Theater lors de cette très attendue nouvelle saison dans la toute nouvelle salle du Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, fraîchement inaugurée en septembre ! On se souvient que la compagnie néerlandaise avait déjà été programmée en 1969 pour la saison d’ouverture qui suivait les travaux de l’époque. Fondé en 1959 et aujourd’hui composé de 28 danseurs âgés de 23 à 40 ans, le NDT maîtrise à la perfection le répertoire néo-classique et contemporain et s’engage avec passion dans deux pièces aux esthétiques bien différentes, du chorégraphe chinois Tao Ye et du tandem Sharon Eyal – Gai Behar.

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© Rahi Rezvani

En première partie, 15, chorégraphie précise et technique de Tao Ye, est interprétée par quinze prodigieux danseurs parfaitement à l’unisson. Le fondateur du Tao Dance Theater a déjà présenté plusieurs de ses pièces sérielles avec sa compagnie à Paris les années passées. Ici en pantalon noir ample et haut moulant couleur chair, les danseurs groupés en triangle effectuent tous les mêmes mouvements et rythmes corporels dans une synchronisation absolument stupéfiante. La danse est rapide et mobilise tout le corps. Les danseurs forment eux-mêmes une grande partie de la musicalité de la pièce en réalisant des rythmes, frappant leurs mains sur leurs torses, leurs cuisses, le sol et en accompagnant ponctuellement le geste de scansions sonores.

On est sensible à la géométrie du mouvement, au groupe qui ne fait qu’un et à cette gradation chorégraphique et musicale qui s’intensifie au fil de la pièce. La performance impressionnante ne laisse aucun temps mort et nous emmène dans une forme de transe cyclique où la répétition de certains mouvements crée une sorte d'espace propre à la méditation. La fluidité du mouvement est remarquable et se marie avec l’intensité des gestes. L'engagement total du groupe et son effectif participent à la puissance de la pièce, alors qu’une certaine neutralité émanait dans les pièces 8 et 9 que la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville avait proposées à La Villette en 2019. Le travail entre le chorégraphe chinois et le NDT 1 est un véritable succès.

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© Rahi Rezvani

Après l’entracte, l’ambiance change complètement avec Jakie, la pièce de Sharon Eyal et Gai Behar. Les deux artistes travaillent ensemble de longue date et ont fondé leur compagnie L-E-V en 2013. Leur spectacle nous plonge ici dans une atmosphère mystérieuse et obscure d’où émanent des silhouettes blanches, jambes fléchies et mains sur les oreilles, comme des créatures craintives. Les corps sont façonnés par une gestuelle évoquant l’animalité. On reconnaît immédiatement le style caractéristique de la chorégraphe israélienne par les gestes des bras saccadés, les pieds sur des demi-pointes très hautes et cette expressivité des mains et des visages qui changent d’orientation avec précision.

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Jakie
© Rahi Rezvani

Les corps sont fins et le geste parfaitement ciselé. Petit à petit, les corps s’étirent et se délient. Sharon Eyal et Gai Behar possèdent ce talent qui permet à la fois une danse de groupe cohérente et des solos emplis de personnalités qui se détachent de l’unisson. Les interprètes formidables s’épanouissent tout au long de la pièce dans un rythme de plus en plus marqué, jusqu’à atteindre une ambiance festive qui pulse comme en boîte de nuit. La musique rythmée enregistrée, création sonore d’Ori Lichtik avec la musique de Ryuichi Sakamoto, porte les danseurs qui s’ouvrent de plus en plus au monde, index pointé vers le ciel. L’alchimie de la pièce opère grâce à ce savant mélange de virtuosité subtile et de rythme de groupe entraînant et contagieux.

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