Chef complet, Alain Altinoglu se montre aussi à l’aise dans la fosse qu’au concert. Aussi, offrir un Requiem de Verdi au public du Palais des Beaux-Arts lui permet de combiner les deux domaines où il s’illustre avec tant de talent et surtout de donner l’occasion à l’Orchestre Symphonique de la Monnaie de sortir de la fosse pour faire apprécier ses considérables talents devant un public qui remplissait jusqu’au dernier siège de la Grande Salle Henry Le Bœuf. On aurait également eu du mal à trouver une place de libre sur la scène tant les forces réunies étaient nombreuses, approchant les 200 exécutants dont 94 choristes comprenant les Chœurs de la maison d’opéra bruxelloise, renforcés par quelques éléments extérieurs, et l’excellent Chœur de la Radio flamande, l'ensemble ayant été préparé par Emmanuel Trenque.
Dans cette partition-pivot du répertoire choral, le directeur musical de la Monnaie domine l’impressionnante masse chorale et orchestrale avec une extraordinaire finesse, une sûreté et une subtilité de tous les instants. On n’assiste pas ici à une enfilade de morceaux à succès, mais bien à une approche où le sérieux de l’analyse n’empêche pas l’expression d’une émotion contenue mais réelle, aussi bien dans l’approche sensible et intègre du chef que dans la discipline obtenue d’un impeccable quatuor de solistes. L'attention d'Altinoglu à certains détails met aussi en évidence des trouvailles du compositeur, comme dans le Quid sum miser ou le trio de solistes vocaux (soprano, mezzo et ténor) est complété par l’intervention d’un basson en très grande forme.
Dès le début de l’œuvre, on est frappé par la qualité d’écoute qui règne au sein d’une section de cordes à l’irréprochable pureté d’intonation alors que le chœur entre sur un murmure. De même, le Te decet hymnus est fermement scandé, mais sans hurler. Et l’une des plus belles réussites de cette interprétation sera justement, y compris dans un Dies iræ proprement terrifiant, d’être toujours chantée par tous les musiciens, suivant un chef qui n’a que faire d’une débauche sonore qui serait aussi inutile qu’insignifiante.
Si ce Requiem est incontestablement une œuvre de chef, l'ouvrage doit aussi pouvoir compter sur un quatuor vocal de premier plan, capable de répondre aux redoutables exigences d’un compositeur pour qui la voix n’avait pas de secret. Et ici, on ne peut cacher la satisfaction de se trouver face à de remarquables solistes, à commencer par Masabane Cecilia Rangwanasha. Remplaçant Lianna Haroutounian souffrante, la soprano sud-africaine est une véritable révélation : sa voix impressionne tant par sa pureté que par sa puissance, mais son interprétation est en outre infiniment touchante. Elle sait faire preuve d’une réelle humilité dans les passages dévolus au quatuor ou dans l’Agnus Dei, mais aussi d’une fermeté d’acier dans le Libera me final.
Les autres solistes sont des habitués de la Monnaie, à commencer par Marie-Nicole Lemieux, qui met de bout en bout son timbre de bronze au service d’une interprétation exemplaire, comme dans le Liber scriptus, parfait, ainsi que dans tous les ensembles. L’exigeante partie de ténor est défendue par un Enea Scala admirablement ferme et héroïque mais aussi capable, dans l’Ingemisco comme dans le Hostias, de se montrer sensible sans être jamais larmoyant. Enfin, le quatuor vocal est complété par la basse de Michele Pertusi. Sa voix, toujours digne et noble, n’a plus tout à fait sa richesse d’antan, mais cette légère perte de couleur sert paradoxalement à enrichir une incarnation d’une grande humanité.

Servi par des forces orchestrales et chorales exemplaires, des solistes de premier plan et un chef inspiré, ce Requiem écouté dans un silence qu’on pourra qualifier de religieux par une salle captivée sera salué par un triomphe amplement mérité.