C’est le concert de tous les dangers ce soir à la Halle aux grains : il va falloir prouver que les plans B ne sont pas des seconds couteaux. Initialement prévu à la tête de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dont il occupe depuis le début de la saison le poste de directeur musical, Tarmo Peltokoski épuisé est remplacé par Ryan Bancroft qui connaît bien la phalange toulousaine. Quant à Yuja Wang qui s'est déclarée indisposée à son tour quelques jours plus tard, elle est remplacée au pied levé par le jeune pianiste russe Roman Borisov. Le Deuxième Concerto de Prokofiev quant à lui est remplacé par le Deuxième de Rachmaninov. La déception bruisse dans les rangs des spectateurs toulousains au moment d'entrer dans la salle, mais ils sont bien présents : ils aiment leur orchestre.

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Roman Borisov dans le Deuxième Concerto de Rachmaninov
© Romain Alcaraz

Lorsque Roman Borisov s’avance vers le piano, on sent toute la pression qui pèse sur ses épaules. Il va s'asseoir sur le tabouret prévu pour la star Yuja Wang. Ramassé comme un tigre, il prend son temps avant de poser les larges accords tellement connus qui ouvrent le Deuxième de Rachmaninov, avec une belle profondeur. Et puis c’est parti… Les échanges avec l’orchestre sont fluides, le son du piano un peu timide est souvent couvert. Le tempo est sage, sans qu’on sache très bien qui du chef ou du pianiste attend l’autre. Dans l’« Adagio », une belle poésie ressort des dialogues avec la superbe clarinette de Floriane Tardy ; l’orchestre est présent, précis, juste mais toujours un peu fort. L’énergie du finale « Allegro tempestoso » est certes communicative mais l’on aurait aimé être secoué par des déluges d’accords ou des arpèges cycloniques, or Borisov semble rester à la surface du clavier.

Sa vraie personnalité, il la montrera – un peu tard – lors d'un rappel étourdissant. Dans une étude de Willam Bolcom assez justement nommée Rag Infernal, il enfourche le piano avec un culot fou et une précision diabolique, non sans humour : les deux clusters centraux lui permettent de faire rire le public. Il faut qu’il revienne…

Ryan Bancroft dirige l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dans <i>Les Planètes</i> &copy; Romain Alcaraz
Ryan Bancroft dirige l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dans Les Planètes
© Romain Alcaraz

C’est un ONCT au grand complet que Ryan Bancroft met ensuite en orbite. Les Planètes de Gustav Holst décollent d'un bond énergique avec « Mars, celui qui apporte la guerre ». Des glissements furieux, une inquiétude du vide, un caractère détaché, accentué nous secouent comme par une tornade, dans une tension maintenue de la première à la dernière mesure. La paix de « Vénus » donne l’occasion aux solistes de briller de tous leurs feux, dans une atmosphère féérique, aux silences majestueux. Cor, violon, hautbois, flûte, violoncelle se font entendre l’un après l’autre, attachants, donnant leur pleine mesure.

Plus loin, la joie lumineuse et scintillante de « Jupiter » permet d’entendre les deux timbaliers dans un rôle très mélodique, leurs phrases d’une continuité remarquable. Dans le scherzo grinçant du magicien « Uranus », c’est au tour des bassons d’imposer un rythme à tout l’orchestre. Enfin, les harpes et le célesta se relaient dans des arpèges magnifiques, comme des nappes lointaines et diffuses que la silhouette à peine perceptible de « Neptune » lance jusqu’à nous. Cette sensation mystique est augmentée par les voix de femmes du Chœur d'État de Lettonie, qui s’éteignent doucement depuis les coulisses, la porte se fermant peu à peu sur le vide. Ce voyage intersidéral a mis en valeur la qualité du travail de détail assuré par l’orchestre, emmené d’une main souple par le chef américain.

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