Alors que le traditionnel mercato estival bat son plein dans les coulisses du sport, le marché de la musique de chambre vit des transferts bien étranges à première vue : c’est au creux d’un fjord norvégien, réputé pour ses averses imprévisibles et ses températures automnales en plein mois d’août, qu’une dream team de musiciens s’est réunie pour quatre jours intenses (onze concerts !). À une heure et demie de Bergen en ferry, le Rosendal Chamber Music Festival, fondé en 2016 par Leif Ove Andsnes qui en assure toujours la direction artistique, a su attirer pour sa septième édition Bertrand Chamayou, le Dover Quartet, James Ehnes, Matthias Goerne, Julia Hagen, Håkan Hardenberger, Sharon Kam, Sheku Kanneh-Mason, Roland Pöntinen, Yeol Eum Son ou encore Tabea Zimmermann… De quoi constituer une saison entière de concertos pour un orchestre symphonique de premier plan !

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Riddersalen, la salle de concert du Rosendal Chamber Music Festival
© Liv Øvland

Il faut traverser des champs à l’ombre d’arbres centenaires, suivre une allée non goudronnée qui serpente vers des montagnes abruptes, puis traverser un torrent pour rallier la salle de concert. Il s’agit d’une ancienne grange entièrement refaite… jusqu’à son acoustique : celle-ci était apparemment d’une sècheresse telle qu’il était totalement inenvisageable d’y organiser des concerts ! Alors que, dans la prairie voisine, des bergers entraînent leurs chiens à regrouper des moutons, l’endroit abrite donc un système de haute technologie invraisemblable : constitué de pas moins de 34 microphones disséminés dans la salle et d’une quantité d’enceintes, le Constellation Acoustic System (signé Meyer Sound) permet de recréer complètement une acoustique compatible avec la pratique de la musique de chambre en public.

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James Ehnes et Yeol Eum Son
© Liv Øvland

Lorsque James Ehnes et Yeol Eum Son entonnent les premières notes du concert d’ouverture, on est en effet frappé par la réverbération chaleureuse qui permet aux artistes de laisser s’épanouir un jeu délicat, sans forcer le phrasé ni les articulations. Ce style sobre prédominera dans toute la Première Sonate pour violon et piano de Johannes Brahms. La tenue de James Ehnes est un peu raide, jusqu’à sa main droite quasi monolithique, qui sollicite à peine l’annulaire et l’auriculaire, mais cela n’empêche aucunement le violoniste de soutenir un legato chantant, intelligemment mené, qui rend la forme de l’ouvrage très claire. À ses côtés, la pianiste sud-coréenne fait preuve d’un toucher aérien et s’attache à colorer le discours en soignant les détails de l’harmonie. Si l’on s’attendait à davantage de relief et de contrastes, l’interprétation ne manque ni de cohérence ni de beauté.

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Leif Ove Andsnes et le Dover Quartet
© Liv Øvland

À l’autre bout de ce concert qui fait la part belle aux œuvres de Brahms (compositeur-phare de cette édition du festival), c’est une autre facette de la musique du maître de Hambourg qui sera mise en avant : dans le fameux Quintette pour piano et cordes, Leif Ove Andsnes et le Dover Quartet font le choix de l’énergie et de la puissance. Les tempos ne traînent pas, quitte à rendre les passages chantants quasiment irrespirables. Les thèmes sont entonnés à pleine voix ; la disposition du quatuor met d’ailleurs sacrément en avant le premier violon et l’alto (joliment sollicité dans cette partition), le second violon restant dans l’ombre du premier tandis que le violoncelle place ses basses au creux du piano. C’est très convaincant car magnifiquement réalisé, mais cela manque tout de même de nuance… Le fameux Constellation Acoustic System est sans doute à mettre en cause, le fondu excessif des cinq instruments et la réverbération très importante ne servant pas vraiment ici les interprètes.

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Roland Pöntinen et Håkan Hardenberger
© Liv Øvland

La sonorisation aura en revanche été parfaite avant l’entracte pour l’intermède consacré à György Ligeti, autre compositeur mis particulièrement à l’honneur par la programmation. Dans l’arrangement pour trompette et piano (signé Elgar Howarth) de Mysteries of the Macabre, Håkan Hardenberger et Roland Pöntinen réalisent une performance de haut vol : le premier apostrophe le public entre deux notes à la façon d’un Droopy absolument irrésistible, le second se démultiplie avec des airs de savant fou en froissant une feuille de papier, en frappant son clavier, en soliloquant dans son micro serre-tête et en donnant des coups de sifflet d’arbitre… Manière amusante de marquer le coup d’envoi d’un festival prometteur.


Le voyage de Tristan a été pris en charge par le Rosendal Chamber Music Festival.

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