Lors de la conférence de presse qui précédait cette première production de la présente saison à la Monnaie, Peter de Caluwe rappelait que ce Siegfried était important à plus d’un titre. Il marque le début de la vingtième année du directeur général dans la maison bruxelloise tout en inaugurant ce qui y sera sa dernière saison. Pour corser le tout, on se rappellera que si la mise en scène de ce Ring étalé sur deux saisons avait été dans un premier temps confiée à Romeo Castellucci, les exigences techniques posées par ce dernier pour les deux derniers volets de la Tétralogie ont été finalement jugées excessives sur les plans technique et budgétaire. Coup de chance, le metteur en scène franco-libanais Pierre Audi – avec qui de Caluwe avait par le passé déjà travaillé au De Nederlandse Opera, entre autres comme responsable du casting d’un Ring de la maison amstellodamoise – s’est montré disposé à prendre à son compte les Siegfried et Crépuscule des dieux à l’affiche de la Monnaie cette saison. Comme Pierre Audi l’expliqua fort à propos, son confrère transalpin ayant traité des deux épisodes divins de la Tétralogie, il se chargerait des deux opéras « terriens ».

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Siegfried à la Monnaie
© Monika Rittershaus

Face aux partis pris parfois extrêmes de Castellucci, l’approche de Pierre Audi – dont on sent directement qu’il est familier de l’œuvre – est d’une lisibilité et d’une clarté bienvenues sans heureusement jamais verser dans le simplisme réducteur.

Le rideau s’ouvre sur une espèce de mur occupant presque toute la largeur de la scène, derrière lequel on aperçoit ce qui pourrait être une grande météorite. Tout au long du premier acte, les échanges entre Mime (l’excellent Peter Hoare) et Siegfried sont vifs et animés. Ce qui est très intéressant ici, c’est que le Nibelung n’est pas réduit à l’image habituelle d’un intrigant calculateur et malhonnête, mais est montré comme sincèrement dévoué à un pupille envers qui il se montre bienveillant et pédagogue.

L’arrivée du Wanderer/Wotan (un Gábor Bretz ferme, sonore, plein d’assurance et vêtu d’une longue robe noire à scapulaire qui tient à la fois d’une bure de bénédictin et du manteau de Dark Vador) et le fameux dialogue où Mime et Wotan mettent leur tête en jeu sont traités avec beaucoup de clarté. Le chant dans un premier temps soigné, bien projeté mais un peu terne du Siegfried de Magnus Vigilius se libère entièrement à partir de la scène de la forge. Et c’est tout au long de la soirée qu’on appréciera son ténor franc et lyrique ainsi que le soin apporté par l’artiste danois à toujours bien chanter et phraser souplement sa partie.

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Siegfried à la Monnaie
© Monika Rittershaus

Au deuxième acte, la météorite soutenue à présent par cinq piliers et plongée dans un éclairage verdâtre abrite la Neidhöhle, l’antre du dragon Fafner qui y garde jalousement le trésor des Nibelungen. Après la mise en garde de Wotan à Alberich, arrivent Mime et Siegfried, armé de l’épée Notung reforgée avec laquelle il terrassera Fafner, à qui Wilhelm Schwinghammer prête sa basse noire. Celui-ci sort de son antre revêtu d’un étrange costume blanc de yéti et tenant un cadavre calciné dans les bras avant que Siegfried ne lui reprenne l’anneau. Très joliment chanté par Liv Redpath, l’Oiseau de la forêt est mimé de façon charmante par le jeune Martin da Silva Magalhães revêtu d’un costume qui le transforme en gros oiseau blanc.

Changement total de décor pour le troisième acte. Alors que pendent des cintres des rochers qui font penser au célèbre Château des Pyrénées de Magritte, le fond de la scène est à présent occupé par un mur blanc laiteux rétroéclairé, avec en son centre un disque à l’intensité lumineuse éblouissante. L’éclairage fait que Siegfried et Brünnhilde (Ingela Brimberg, à la fois touchante et imposante), tout à leur découverte de l’amour, apparaissent souvent à contre-jour. Une fois la Walkyrie réveillée par le baiser du héros, le jeune couple sort de l’ombre pour apparaître en pleine lumière dans cette apothéose de l’amour qui clôture l’œuvre.

<i>Siegfried</i> à la Monnaie &copy; Monika Rittershaus
Siegfried à la Monnaie
© Monika Rittershaus

Cette mise en scène sans extravagances mais sans banalité est accueillie avec enthousiasme par le public bruxellois qui réserve cependant à raison sa plus belle ovation à Alain Altinoglu. Tout au long de ces quatre bonnes heures de musique, le chef aura réussi à maintenir une tension de tous les instants, galvanisant tant la scène que la fosse où l’orchestre – à commencer par ses cuivres infaillibles – se montre sous son meilleur jour.

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