Le Stabat Mater est un opus singulier dans l’œuvre de Dvořák, bien loin du lyrisme et des fantaisies de sa Symphonie nº 8 que l'Orchestre National de France donnait quelques jours auparavant à la Maison de la radio et de la musique, à quelques hectomètres du Théâtre des Champs-Élysées qu'ils occupent ce soir. Première composition sacrée d’envergure du compositeur, le Stabat Mater adopte une écriture austère et une orchestration dénuée de toute excentricité qui conviennent aux douleurs de la Vierge Marie face à la mort de son fils… Ce soir, le dramatisme et la grandiloquence de l'interprétation poseront parfois question.

Christoph Eschenbach en répétition avec l'Orchestre National de France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Les chromatismes descendants de la première introduction orchestrale plantent le décor : dans un tempo assez lent, qui sera un paramètre clé de l’interprétation, Christoph Eschenbach ancre l’œuvre dans une esthétique presque brucknérienne, s’appuyant sur les instruments graves (violoncelles, timbales) et dessinant une épaisse brume sonore où se mêlent violons et bois aigus, dans un geste à tendance monolithique. C’est sur cette nappe orchestrale dense et charnue que le Chœur de Radio France vient scander avec conviction son « Stabat mater dolorosa ». La puissance numérique et physique du chœur s’accommode parfaitement avec cet orchestre massif, où chaque mot s’écoute pourtant intelligiblement, porté par des premiers temps systématiquement marqués. Le chœur fera preuve d’une homogénéité constante, sachant parfaitement trouver sa place, et donnant aussi bien du poids dans les tuttis que se montrant à l’écoute dans le dialogue avec les solistes – tel l’admirable « Fac, ut ardeat » avec la basse Hanno Müller-Brachmann.

Si le Chœur de Radio France, préparé par Martina Batič, convainc, la distribution côté solistes reste plus hétérogène. Celle-ci est dominée par la contralto, Gerhild Romberger. Sa voix sombre trouble par son sens du tragique et le fondu qu’elle propose, et s’accorde étonnement bien avec la soprano Chen Reiss, à la voix pourtant bien plus enjouée et au timbre plus léger : l’alliage des deux provoque une plaisante alchimie. Les réserves arrivent du côté des hommes : la basse Hanno Müller-Brachmann porte sans faillir de longues lignes de chants mais se perd parfois dans un sensationnalisme en décalage avec le discours. La principale déception vient cependant du ténor australien Steve Davislim, qu’on aurait bien entendu dans Bellini ou Donizetti, tant son timbre très clair et ses phrasés belcantistes détonnent dans une ambiance sérieuse et recueillie – sans même évoquer les quelques accidents d’intonations qui entachent sa performance.

Ce décalage stylistique est d’autant plus perceptible qu’Eschenbach manifeste la volonté d’effacer tout particularisme dans l’orchestre. Le geste paraît louable à certains égards, souhaitant résolument adopter un ton sévère et emphatique qui peut convenir à un opus des plus ténébreux, où le texte convoque sans cesse le champ lexical de la souffrance, comme un écho aux déboires personnels de Dvořák qui aura perdu successivement ses trois enfants peu avant la composition de l’œuvre. Mais ce rigorisme tend à s’essouffler, à commencer par ces choix de tempos lents, voire très lents (le compositeur indique pourtant « con moto » dans la moitié des mouvements) qui mettent parfois sérieusement en danger les chanteurs et font stagner ce Stabat Mater dans une ambiance lourde et mortifère finalement lassante. La battue par endroits floue du maestro provoque aussi quelques imprécisions dans les attaques et les soutiens instrumentaux, alors même que les musiciens de l'Orchestre National de France doublent souvent les chanteurs, chœur ou solistes. Ceux-ci semblent alors plutôt regarder du côté de Sarah Nemtanu, violon solo, qui mène avec vigueur des troupes quelque peu décontenancées face à un chef au sens des espaces sonores indéniable mais aux choix interprétatifs quelques peu déconcertants.

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