Dans la longue introduction orchestrale du Troisième Concerto pour piano de Beethoven, Sunwook Kim dirige le Chamber Orchestra of Europe avec beaucoup de simplicité. Son geste est calme, précis, direct. Sans partition, la queue de son piano placé comme un éperon, il est au cœur de l’orchestre, resserré dans l’espace de la Halle au grains autour de lui. Quand il s’assied sur son tabouret, l’élan glisse entre l’orchestre et le piano dans une grande cohérence, une belle alliance des timbres, le dialogue est fluide. On est frappé par la qualité de chant des premiers violons. Frappé aussi par l’évidence du jeu du timbalier Robert Kendell, hyper concentré, véritable serviteur du rythme, sobre, efficace et justement présent.

La cadence de l’« Allegro con brio » est ultra engagée. Engagé, c’est un mot-clé de ce soir. La dynamique est spectaculaire, avec un volontarisme confinant au brutal – au sens jouissif que lui donnent les Tontons flingueurs. Sunwook Kim ne nous ménage pas. On jette un pont par-dessus le « Largo » et voilà déjà le « Rondo » final, aux rythmes serrés, au tempo enlevé : la joie d’être Toulousains ce soir, de vivre ce moment fiévreux se lit sur les visages des musiciens. Ils déclenchent des sourires communicatifs et le public jubile.
Dans un ordre logique, on entre ensuite doucement dans le Quatrième Concerto, pris dans le même sentiment de communion entre piano et orchestre. Les mains de Sunwook Kim ne s’arrêtent jamais : quand elles ne jouent pas, elles dansent. Il dépasse, il sublime les difficultés de la partition, parvenant d’un regard à tempérer l’ardeur d’une clarinette, d’un haussement des pommettes à presser des altos. Engagé, encore : il manque de tomber de son tabouret, met la lyre à mal sous la pression de son pied droit qui transcende les liaisons de la partition, transpire à grosses gouttes sans avoir l’air d’en être gêné.
Arrêt sur image : l’introduction orchestrale de l’« Andante con moto » est arrachée au silence, puis le piano entre avec un sens du contraste stupéfiant ; il nous absorbe. On est projeté ailleurs, dans une église, ce n'est plus Beethoven mais le Requiem de Mozart, précisément le « Confutatis », cette alternance de ronflements dantesques et de prière murmurée. Le moment est aussi intense… que court, hélas. Retour à Toulouse avec un nouveau rondo qui nous embarque dans son énergie vitale.
« L’Empereur », dernier des concertos pour piano de Beethoven, pour conclure. On n’est pas étonné que le pianiste coréen fasse preuve d’autorité dans l’introduction, mais on l'est davantage par la sobriété du thème énoncé par l’orchestre. Au moins on se pose, on dresse l’oreille ; le temps de le faire, le tourbillon nous emporte à nouveau. C’est toujours le même engagement, mais Sunwook Kim se met parfois en retrait, laissant parler les solistes de la petite harmonie, qui prennent leur part avec justesse. Ensuite, c’est le chant de l’humanité qui transpire de l’« Adagio » : les cordes sont symbiotiques, le piano greffé à elles. Et puis on plonge dans le dernier rondo, non sans distinguer un soupçon de fatigue digitale et quelques accrocs sans gravité, que l’on se prend à aimer, toujours dans ce désir d’humanité qui nous prenait tout à l’heure.
Le communiqué du Chamber Orchestra of Europe l'annonçait : « c'est une connexion musicale et humaine unique et profonde que Sunwook et les musiciens du COE apprécient et chercheront à transmettre au public international ». À l’orée de leur tournée mondiale, on est heureux de les avoir saisis dans leur seule date française.
Ce concert a été organisé par Les Grands Interprètes.