Mais que s’est-il passé en ouverture de cette édition 2025 du Festival d’Aix-en-Provence ? Depuis l’année dernière, nous savons les comptes largement dans le rouge. Mais cela justifie-t-il qu’une production préparée sur minimum deux ans en amont dans un tel festival puisse à ce point respirer la vacuité sur le plan théâtral ? N’existait-il pas des garde-fous artistiques, de la présentation de maquettes au moment des répétitions ? Le jugement peut paraitre sévère tant il est vrai que l’on attend d’un festival une prise de risque certaine, notamment dans le choix de la mise en scène, en ne jouant pas systématiquement la carte des grands noms et en proposant de nouveaux artistes issus des autres arts vivants. Telle était certainement l’idée avec Robert Icke, qui a présenté jusqu’ici quelques productions théâtrales en Angleterre d’après des textes classiques, mais qui reste un parfait inconnu ailleurs en Europe ainsi que dans le monde de l’opéra.

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Don Giovanni au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Sur scène, une lourde structure métallique en U, qui n’a pas de véritable utilité visuelle, technique ou dramatique, et qui laisse partir les (faibles) voix dans les cintres ; elle servira à des projections vidéo souvent parasites sur des rideaux amovibles. Dès la première scène entre Don Giovanni et Leporello, alors que les corps des chanteurs errent, en panne de jeu, de direction et d’idées, au milieu de cette architecture fantoche, on se dit que quelque chose va se passer, que cela va changer... Mais progressivement, devant l’approximation des mouvements, des enjeux, des entrées et des sorties, on comprend que rien n’évoluera par la suite. Il y a bien un embryon d’histoire avec ce Commandeur qui devient un double de Don Giovanni et mène le bal depuis son fauteuil en cuir noir, en réécoutant en boucle sur des vinyles le finale de l’œuvre. Mais rien n’est véritablement exploité au-delà de cette idée cadre et d'autres clichés incestuels et féministes. Tout est fade et sans saveur.

Très vite, on perd pied. L’opéra devient incompréhensible à qui ne le connait pas d’avance. Les récitatifs sont bâclés, écourtés. Pourquoi pas, dans l’absolu ? On sent que cet effet de focale fait naître par moments une certaine tension au sein du duo principal, mais elle n’est ici aucunement exploitée. Dans la deuxième partie, apparait du matériel médical de part et d’autre de la scène, la structure se transforme en hôpital, Don Giovanni est sous perfusion, un lit médicalisé, des infirmières pour soigner le malade, il ne cesse de mourir, et nous d’ennui.

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Don Giovanni au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Le remède viendra-t-il de la fosse ? Surtout à Aix-en-Provence, on sait Simon Rattle parfaitement dévoué à la musique et aux projets scéniques qui lui sont éloquents. Mais on sent qu’ici, il n’est pas parvenu à entrer en résonance avec le plateau et à trouver à quoi s’accrocher – et pour cause. Il travaille en solitaire. « Et tant pis pour les décalages avec le plateau, du moment qu’on a l’ivresse », semble être son adage.

Simon Rattle construit avec l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, en fosse pour la première fois au festival, un plaisir égotique autour d’un Mozart apollonien dont on sent qu’il se délecte et qu’il phrase en symphoniste romantique. Pour preuve la place des cordes inégalables tout du long : c’est épais, juteux, goûtu, et toujours élégant. On retiendra notamment la partie de violoncelle dans l’air de Zerlina « Batti, batti o bel Masetto », diaphane, à fleur d’archet. Ou encore, toujours aux cordes, tout au long de l’œuvre et comme un rappel de la malédiction initiale, les accords ascendants ou descendants à ce point vifs et percutants. Le maelström final est un avant-goût d’une page du Requiem dans sa construction en couches superposées.

<i>Don Giovanni</i> au Festival d'Aix-en-Provence &copy; Monika Rittershaus
Don Giovanni au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Côté voix, Andrè Schuen est un Don Giovanni de grande classe, au timbre chaud. Sa sérénade restera comme un moment d’anthologie, susurrée sur le couplet central. Il se démène pour exister dans ce vide scénique. C’est le cas aussi de la Zerlina de Madison Nonoa, très jolie voix de souris trop délicate pour un espace scénique aussi béant. La Donna Anna de Golda Schultz recueille tous les suffrages malgré une diction approximative et Magdalena Kožená en Donna Elvira est digne et impeccable en tous points. Krzysztof Bączyk, au beau timbre sombre, peint un Leporello en Monsieur Loyal mélancolique, façon Droopy, et bien trop dévitalisé pour nous passionner vocalement – ou quand la mise en scène infléchit directement la voix. On restera en revanche très perplexe devant le Don Ottavio d’Amitai Pati, au registre aigu toujours pincé, et au bord du craquage, notamment dans son « Il mio tesoro ».

Peut-être nos attentes étaient-elle trop élevées pour ce Don Giovanni  dans un festival mozartien ? Mais la sensation d’une production à ce point bancale et peu fouillée nous laissera avec le sentiment d’une soirée morose. 

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