Dix minutes avant l’heure du concert, la nef de l’église de Saint-Père au pied de la colline de Vézelay est déjà bien remplie et les spectateurs consultent avidement leurs programmes… ou plutôt leurs partitions. Dans quelques instants, Olivier Fortin, claveciniste et chef de l’Ensemble Masques, prendra la parole au micro pour expliquer en quelques mots le déroulement de la cantate de Bach Liebster Jesu, mein Verlangen et apprendra méthodiquement le choral final à un public passionné – tout en glissant habilement quelques histoires drôles sur l’art de l’échauffement des cordes vocales. L’idée de proposer en guise de bref concert gratuit une cantate participative n’est pas neuve mais c’est une première aux Rencontres musicales de Vézelay et ce sera un véritable triomphe. Il faut dire que, pour ne rien gâter, ce ne sont pas des interprètes de seconde zone qui officient ce matin mais bien des pointures du répertoire, le hautbois chantant de Jasu Moisio et le violon joueur d’Alice Julien-Laferrière donnant idéalement la réplique aux voix d’Élodie Fonnard et Romain Bockler.

Olivier Fortin apprenant la cantate au public des Rencontres musicales de Vézelay
© Vincent Arbelet

En ce dimanche matin, les Rencontres musicales de Vézelay arrivent dans leur dernière ligne droite et, en quatre jours à peine, le festival porté par la Cité de la Voix a proposé sur la colline éternelle et dans ses alentours une quantité de rendez-vous riches et variés, parfois insolites mais toujours pertinents dans le cadre d’un festival d’art vocal, assumant une croisée des genres et des styles qui permettait à tous les publics de s’y retrouver : avant cette cantate participative, les spectateurs ont pu ainsi écouter un quatuor vocal bulgare (Balkanes) au beau milieu d’un après-midi sur les terrasses qui jouxtent la basilique, prendre un petit-déjeuner en musique dans les jardins fleuris du Manoir de Val en Sel, s’initier au beatbox, esquisser des pas de danse tzigane avec Marcela Cisarova dans la perspective du grand bal de samedi soir ou encore veiller jusqu’à minuit sous les lanternes du trio inclassable (et excellent) des Itinérantes en contemplant les étoiles… Quel festival aujourd’hui peut se vanter d’une telle diversité en quelques jours à peine ?

Les Itinérantes dans les jardins de la basilique de Vézelay
© Vincent Arbelet

Outre les grands concerts de 21h à la basilique qui mettaient à l’honneur des ensembles stars de la scène chorale (on a ainsi pu voir le Chœur de la Radio Lettone et l’Ensemble Aedes), des concerts dans l’après-midi à Vault-de-Lugny permettaient d’apprécier des répertoires rarement portés à la scène. Samedi à 16h, l’Ensemble Zene donnait ainsi à entendre pour la première fois le fruit de deux ans de recherches et de réflexions menées par son directeur artistique, Bruno Kele-Baujard, en concertation avec le directeur de la Cité de la Voix et des Rencontres musicales, François Delagoutte. Avec ce programme intitulé « Transylvania », Kele-Baujard a opéré un singulier retour vers ses racines hongroises et montré combien celles-ci se ramifiaient dans l’Europe du XVIIe siècle. Si le programme se distingue par une thématique guerrière qui permet de réaliser de riches effets sonores, les extraits des codex de l’époque ne sont pas moins étonnamment divers, allant de la suite de danses à la chanson populaire en passant par le motet savant. Les interprètes ont su rendre cette richesse expressive avec maestria, parfois au sein d'une seule et même pièce : au côté du timbre nasal et des accents gutturaux de la fascinante chanteuse-conteuse Zsuzsanna Varkonyi, le quintette de chanteurs lyriques s’est avéré de premier ordre – mention spéciale au baryton solide et vif de René Ramos et aux aigus aériens de la soprano Anne-Laure Hulin.

L'Ensemble Zene dans l'église de Vault-de-Lugny
© Vincent Arbelet

Du côté des instrumentistes, Léo Brunet a allié subtilement son théorbe au timbre du clavicymbalum avant de prendre la guitare et d’assurer la cadence dans des rythmes débridés qui ont rendu le public presque incontrôlable dans le bis ! De leur côté, Emmanuelle Dauvin (violon) et Claire Gautrot (viole de gambe) ont admirablement surmonté les difficultés techniques de l’œuvre de Philippe Hersant. Peu imaginative dans sa forme comme dans son langage, la pièce du compositeur français présentée en création mondiale restera la seule déception du concert ; mais elle sera bien vite oubliée, gommée par l’extraordinaire concert des Aedes quelques heures plus tard…


Le voyage de Tristan a été pris en charge par les Rencontres musicales de Vézelay.

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