Le pianiste François Chaplin, directeur artistique du Festival de Pontlevoy (Région Centre-Val de Loire), a organisé une large partie du week-end du 22 au 24 juillet autour des valses de Chopin. Il a lui même conclu et résumé ces journées par un brillant récital sur ce thème. Auparavant, il s'était entretenu en public avec certains voyageurs faisant la route de Nohant-Vic, célèbre lieu de résidence de George Sand et de Chopin, à quelque distance de Pontlevoy. De passionnants dialogues, riches d'enseignements, se sont instaurés avec ces visiteurs : avec Jean-Yves Clément sur les rapports entre Chopin et Liszt ; avec Alain Lompech à propos de l'art d'interpréter Chopin. Un magnifique concert-causerie par Yves Henry comparant le Pleyel de Chopin, un piano identique étant sur scène, aux pianos modernes a été vivement apprécié.

François Chaplin © Hubert Armand
François Chaplin
© Hubert Armand

L'esprit et l'oreille du public sont donc assurément préparés au récital conclusif de François Chaplin, le dimanche 24 juillet. Son programme illustre librement une chronologie de l'œuvre de Chopin. Les Grandes valses brillantes de l'Opus 34 composées entre 1831 et 1838 (Chopin est alors âgé de 21 à 27 ans) ouvrent la soirée. Le pianiste respecte à merveille le principe chopinien : « Que votre main gauche soit votre maître de chapelle ». Les graves sont d'une régularité rythmique accomplie faisant partager au public une commune vibration, enrichie d'une généreuse sonorité. Cette base rythmique reste cependant fluide, les temps forts étant marqués par un doigté subtilement dosé. À la main droite, nuances et rubatos entraînent les auditeurs vers de tourbillonnantes émotions. Ainsi, en particulier dans les mesures finales du premier numéro de cet Opus 34, le jeu de François Chaplin vient-il créer le double sentiment d'une attente, insatisfaite, retenue par le rubato l'espace d'un instant, puis d'une allégresse libérée dans les gammes et ornementations virtuoses qui suivent. Ces qualités interprétatives sont également mises au service d'une expressivité faite de rêverie, de méditation dans le deuxième numéro de l'opus ainsi que d'un charme enjoué dans le troisième numéro.

François Chaplin poursuit un cheminement où se succèdent l'atmosphère pleine de mystère des Nocturnes, Op. 55 et celle de valses encore de jeunesse. Les Nocturnes, Op. 55 sont rendus de manière en quelque sorte murmurante mais traversés parfois de traits enflammés. Les deux valses qui suivent ressemblent, à les écouter sous les doigts du pianiste, à une invitation. La première, la Valse dite L’Adieu, Op. posthume 69 No.1, est une invitation à investir sa célèbre mélodie des impressions, des souvenirs personnels auxquels chacun est attaché. François Chaplin semble accompagner l'humeur de chaque auditeur sans vouloir lui imposer quoi que ce soit. La seconde Valse, en la bémol majeur, Op. posth, est, cette fois, une claire invitation à se donner à la danse, au chant, à la joie.

Rappelant que Chopin est admirateur inconditionnel de Mozart, le programme inclut la Sonate K330 pleine de légèreté. Sa simplicité mélodique couronnée d'élégantes ornementations sous les mains agiles et expressives du pianiste ouvrent la voie aux trois Valses, Op. 64, dernières valses composées par Chopin. François Chaplin rend compte des sommets créateurs atteints par le compositeur : on reçoit, par exemple, une vive impression de la course effrénée imposée par la première valse, dont l'interprétation ne renonce pas pour autant à la clarté du propos grâce à un toucher rigoureusement précis. La deuxième valse étonne à son tour, permettant de distinguer le jeu équilibré des voix où affleure la ligne mélodique grave, heureux contrepoint de la ligne principale.

Auparavant, une première partie du concert s'était achevée en apothéose avec la Barcarolle Op. 60 dont l'inspiration la rapproche du Nocturne, Op. 62, no 1 venant à son tour annoncer la proche fin de la soirée. François Chaplin livre en interprétant ces deux pièces le témoignage d'un compositeur qui, à quelques années de sa mort, fait appel à toutes les ressources classiques de son art : rythme évocateur, ligne mélodique chantante, modulations émouvantes, vibrants trémolos. À la différence cependant du nocturne au caractère d'une sombre mélancolie pour ne pas dire d'une insigne tristesse, l'atmosphère de la barcarolle est lumineuse et colorée. Mais dans les deux œuvres l'interprète laisse clairement percer des intervalles, des accords sonnant plus étrangement, annonciateurs visionnaires des évolutions de la musique post-romantique. Cette évolution que François Chaplin est parvenu à souligner de manière passionnante, tant au cours de ces journées du Festival de Pontlevoy que lors de sa prestation finale au piano, laisse autant de points de suspension que la disparition prématurée du compositeur laisse à jamais ouverts.

****1