Après un concert mémorable au programme germanique la saison dernière, l’Orchestre National de France retrouvait samedi dernier Philippe Jordan pour une soirée d’un tout autre caractère. Les grandes fresques lyriques d’outre-Rhin sont délaissées au profit d'un répertoire tout en suggestions autour de l’élément marin. Du premier romantisme de Felix Mendelssohn aux évocations naturalistes et modernes de Benjamin Britten en passant par la musique française caractéristique d'Ernest Chausson, c’est un véritable bulletin de météo des plages qui nous est proposé !

Philippe Jordan © Michael Poehn / Wiener Staatsoper
Philippe Jordan
© Michael Poehn / Wiener Staatsoper

Avant de s’embarquer pour cette croisière, le Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy plonge le public de l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique dans une atmosphère de rêverie mystérieuse. Dès l’inoubliable solo de flûte inaugural, Silvia Careddu choisit de dérouler sa phrase tout en retenue, presque hésitante, comme si le faune était déjà totalement immergé dans ses songes. Complété par la harpe d'Émilie Gastaud, le duo d’instruments dessine un univers antique onirique auquel l’orchestre apporte des couleurs pastel. Les trémolos des cordes figurent le murmure paisible des nymphes dans un sous-bois tranquille que viennent perturber quelques épiphénomènes à travers les interventions du hautbois de Mathilde Lebert. Les rares élans de l’orchestre restent dans cette atmosphère lointainement voilée dont les équilibres sont fabuleusement entretenus par les interprètes.

Après cette démonstration de l’ondoiement debussyste, c’est dans un état extatique que l’auditoire aborde le Poème de l’amour et de la mer, mise en musique par Chausson de deux poèmes de Maurice Bouchor. La technique vocale de Stéphanie d’Oustrac et ses choix d’interprétation sont remarquables. Avec une diction claire, la mezzo-soprano déploie une palette de couleurs et d’attaques aux nombreuses nuances qui mettent en valeur le corps du texte, notamment lors des évocations de l’angoisse, du regret et de la mort à la fin des deux mouvements.

L’orchestre n’est pas en reste : il accompagne la soliste avec subtilité, parvenant à des instants d’osmose poignants. Le style change, fort à propos : après les rêveries du faune, les émotions sont ici plus palpables et concrètes. L’interlude douloureusement nostalgique entre les deux poèmes, préfiguration du Temps des lilas (dernier air de l’œuvre), est l’occasion de s’enivrer d’émouvants solos de basson (Marie Boichard) et violoncelle (Raphaël Perraud).

Après l’entracte, Philippe Jordan tire de l’orchestre un son symphonique riche pour l'ouverture de concert Mer calme et heureux voyage de Mendelssohn. Cette page débute par quelques minutes paisibles pendant lesquelles les cordes et la clarinette de Carlos Ferreira décrivent une mer (vraiment très) paisible, presque immobile. Sans s’ennuyer, on admire la nouvelle texture, plus charnue, des pupitres de cordes. Une volute aérienne de la flûte permet au vent de se lever, et nous voilà parti pour voguer énergiquement au gré des alizés. La traversée est pendant un bref moment chahutée par une tempête, mais le navire arrive finalement triomphalement à destination, accompagné d’éclats de trompettes. Cette seconde partie libère la virtuosité de l’orchestre, dans un style véritablement mendelssohnien : les batteries de notes des instruments à vents font très vite penser à la Symphonie « Italienne » ou au Songe d’une nuit d’été.

Clou du spectacle, les Quatre Interludes marins de Benjamin Britten sont une évocation plus complète de la mer, peignant un portrait complet du littoral. Les interprètes du soir en révèlent toute la richesse. À l’Aube, nous sommes sur un littoral nu. L’alliage violons-flûtes est par moment perturbé par de brèves ponctuations des clarinettes en coups de vent et par l’écume des altos comme autant de vagues qui meurent sur la plage. En arrière-plan tout au long des trois premiers mouvements, un inquiétant choral de cuivres sous-tendu de timbales et de grosse caisse suggère une tempête qui gronde au loin.

Pendant Dimanche matin, voilà que les familles viennent pique-niquer. Une fanfare de cors et le staccato des bois puis des violons traduisent leur enthousiasme joyeux, presque cacophonique. Au Clair de lune, l’atmosphère est plus introspective. Seul face à l’horizon, on médite tandis que les éclats de la harpe et de la flûte sont des étoiles qui se reflètent sur l’onde. Enfin éclôt la Tempête qui couvait depuis le début. Pendant que les contrebasses définissent sa lame de fond, le chaos organisé de ses courants contraires et simultanés sont retranscrits par le flux musical des différents pupitres de cordes au milieu des déflagrations de cuivres.

On court chercher un abri que l’on trouve finalement : un bref moment d’accalmie survient, au cours duquel on contemple le caractère sublime de l’ouragan, qui finalement nous rattrape pour une fin en queue de poisson. Autant d’images suggérées par l’interprétation expressionniste du capitaine Jordan à bord du vaisseau amiral National, équipage dont on aura admiré jusqu'au bout la justesse et la cohésion.

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