Renouveler l’écoute de certaines œuvres au point de rendre quasiment inaudibles les Karajan, Klemperer et autres Karl Böhm : telle est la force des interprétations historiquement informées. Si cette approche a mené François-Xavier Roth et son ensemble Les Siècles jusqu’aux répertoires les plus modernes (en témoignent leurs Ballets russes et leur Symphonie « Titan » de Mahler, déjà au Théâtre des Champs-Élysées), c’est ce soir dans un programme exclusivement classique qu’on les retrouve pour leur seconde saison en résidence avenue Montaigne.

Et quel meilleur représentant de ce classicisme que Mozart et sa Symphonie n° 41 dite « Jupiter », cette ultime symphonie qui, malgré sa relative tardiveté dans l’œuvre du compositeur, semble moins préfigurer l’avenir beethovénien que représenter la quintessence du langage mozartien ? Comme à leur habitude équipés d’un arsenal d’époque, les musiciens des Siècles relèvent avec succès le défi technique imposé par ces instruments, à l’instar des deux cornistes : malgré l’imprévisibilité du cor naturel dont on sait le caractère capricieux, ceux-ci se montrent globalement impressionnants de justesse, notamment dans les passages les plus exigeants. De même, le positionnement des bois – debout au fond de l’orchestre – permet aux aptitudes individuelles de s’exprimer pleinement, tout en créant l’intimité propice à une écoute chambriste essentielle chez Mozart.
Malheureusement l’auditeur profitera peu de cette qualité concertante : entre l’ancienneté de sa facture et la prédominance des cordes, la petite harmonie déjà peu sonore se retrouve étouffée par ce placement très en retrait. Cette petite réserve ne doit cependant pas éclipser l’apport des instruments d’époque : tandis que les boyaux offrent du relief et une vive réactivité aux cordes, la peau tendue des timbales génère quant à elle une richesse de timbre qui s’associe aussi bien aux couleurs typées des bois qu’à celles, plus mates, des cuivres. Toutefois, parce qu’elle ne raccourcit pas les phrases à outrance, n’accentue pas la raideur du son, et ne surenchérit pas sur l’âpreté des timbres, la phalange ne rentre jamais dans la caricature baroqueuse.
À en juger par ses tempos mesurés, sa pulsation naturelle, sa régularité dans les carrures et les accents, la vision que semble vouloir exprimer François-Xavier Roth est celle d’une Jupiter sobre, noble et assez apollinienne dans l’âme. Alors que les multiples thèmes du premier mouvement s’enchaînent de façon cohérente et dessinent avec harmonie l'architecture de cette forme-sonate, le deuxième mouvement est esquissé comme une confidence souple et gracile, qui laissera place à la sympathique légèreté du Menuetto puis à la grande fugue finale. Toutefois, à l’instar de cette dernière fugue qu’aucune folie ne viendra animer, les qualités précédemment évoquées n’empêchent pas l’ennui de s’installer, au gré d’une verticalité prononcée et d’une fantaisie trop corsetée. C’est d’un feu froid qu’aura brûlé cette symphonie, dont la flamme n'aura fait qu’effleurer l’auditeur sans l’atteindre.
On ne s’attardera pas sur la première partie de concert, tant la prestation de Chouchane Siranossian aura été décevante. S’attaquer au Concerto pour violon de Beethoven avec instrument (dépourvu de mentonnière) et archet d’époque est certes à mettre au crédit de la soliste, de même que son travail sur la partition de Pierre Baillot, créateur du Concerto en France. Toutefois, sa pulsation si ostensiblement erratique, ses accents si appuyés et ses interventions si décousues témoignent d’un cruel manque de naturel – fatal à l’élan musical de ce concerto, réduit ce soir à son expression la plus précieuse et maniérée.