Avant que le rideau ne se lève sur la première de Lohengrin à La Monnaie, le metteur en scène Olivier Py apparut sur le devant de la scène pour exprimer les principes – on a envie de dire: les dogmes – sur lesquels son approche se fondait. Résumons: Wagner symbolise à lui seul la culture allemande; son antisémitisme est répugnant; les nazis – et Hitler en premier – le vénéraient; Lohengrin, dans ses appels à l’unité allemande, porte en lui les germes du nationalisme et ne peut donc être aujourd’hui compris sans immanquablement se référer au national-socialisme (avatar du précédent), ses crimes abjects et son échec final. Même si l’idée est que sans Hitler nous ne pourrions rien comprendre à Lohengrin est à tout le moins contestable, la conséquence qu’en tire Py est tout à fait défendable, puisque, brillamment aidé par les décors et costumes de Pierre-André Weitz, il situe l’œuvre non pas sur les bords d’un Escaut de légende, mais dans l’Allemagne fraîchement bombardée de 1945, tragique illustration de l’effondrement de ce nationalisme, dont – on ne saurait le nier – l’œuvre n’est pas entièrement exempte (et il est vrai qu’aujourd’hui des termes comme Heil, Sieg ou Führer sont si fortement connotés que nous ne pouvons nous réclamer de l’innocence supposée des spectateurs du XIXème siècle).
Le rideau se lève sur un ingénieux décor tournant, dans des tons très sombres, qui représentera d’abord une tour de deux étages calcinée, dont bombardements et incendies ont fait voler une grande partie des vitres en éclats. Pour la première intervention du chœur, le décor nous montre l’intérieur d’un théâtre qui a lui aussi été partiellement la proie du feu et de la destruction où les choristes masculins – strictement vêtus de costumes trois-pièces, chemises blanches, cravates noires – semblent de sérieux actionnaires assistant à une assemblée générale chez Krupp dans les années 1930. Nous verrons aussi plus tard un petit fronton grec (dont le style tient à la fois de l’entrée du Bundestag, mais également d’un palais de justice de province), puis une muraille grise présentant deux brèches, ainsi que l’arrière d’une scène de théâtre où œuvrent les machinistes.
Même s’il insiste parfois un peu lourdement sur son propos liminaire (exemples choisis: le couple maléfique Telramund-Ortrud brandissant à l’acte II une aigle nazie à laquelle seule manque la croix gammée, ou les choristes transformées en Trümmerfrauen courbées évacuant des vitres brisées dans des seaux, le culte du corps nazi – à la Riefenstahl ou Breker – illustré par les acrobaties d’un musculeux athlète torse torse nu au Prélude de l’Acte III), Py convainc par une très fine mise en lumière des relations de pouvoir, d’amour, de jalousie ou d’ambition entre les protagonistes (sans parler de l’échec du salut censé être apporté par Lohengrin). Une brillante trouvaille est de faire du duel entre Lohengrin et Telramund une partie d’échecs qui voit le bien triompher sur le mal (est-il besoin de dire que c’est Lohengrin qui a les blancs ?).