Imaginerait-on la messe Peuple, battez des mains de Jo Akepsimas donnée au Teatro Colón de Buenos Aires ? C’est pourtant un honneur semblable qui est fait à la Misa Criolla d’Ariel Ramirez, donnée ce soir à l'Opéra du Capitole de Toulouse. Ces deux œuvres ont toutes deux en commun d’être les fruits d’une forme de libération de la liturgie, au lendemain du concile de Vatican II.

Emiliano Gonzalez Toro © Michel Novak
Emiliano Gonzalez Toro
© Michel Novak

Pourquoi ce succès de la messe argentine ? Son écriture tonale, ses airs simples et vibrants, ses rythmes indigènes la rendirent populaire dès le premier disque enregistré par le compositeur lui-même. Elle fut aussi chantée par les plus grands comme José Carreras. Enfin, elle n’est pas solfégiquement difficile (puisque destinée à être chantée dans les églises) : elle constitue un bon socle du répertoire amateur.

Ce soir donc, le chanteur et chef baroque suisse d’origine chilienne Emiliano Gonzalez Toro rassemble quelques amis pour donner sa vision de la messe argentine. Son comparse le ténor mexicain Ramón Vargas et le Chœur de l’Opéra national du Capitole complètent le plateau. Une tenture rouge aux tons chatoyants et mouvants ferme la scène. Il faut se faire à la sonorisation : l’équilibre entre les solistes, le chœur et les instruments confidentiels comme la guitare ou le charango est fragile. Surtout quand Emiliano Gonzalez Toro n’achève pas ses phrases au micro, faisant volte-face pour donner des indications aux choristes. Il faut aussi se faire à la présence d’un grand Steinway, en place du petit clavecin populaire qu’on attendait. L’introduction de l’Agnus s’en trouve défigurée. Mais enfin, l’ensemble a tout de même de la tenue !

Pendant toute la soirée, on sera partagé entre le caractère du concert (opéra, fauteuils de velours rouge, lumière tamisée) et l’incitation à applaudir, bouger et même danser. Il est parfois tentant, comme dans le Gloria, de ne pas rester sagement assis. Le chœur pousse régulièrement des cris de joie, claque dans ses mains, transporté par un Gonzalez Toro qui danse et se déplace beaucoup. C’est vraiment lui qui porte le concert, guidant, poussant, enjôleur, séducteur.

Les deux ténors ont en commun de soigner leur timbre, de tenir leurs effets, ne cherchant pas à pousser le vibrato ni à couvrir le reste du plateau. Mais là où Gonzalez Toro nage dans son élément, Vargas rame. Notes écourtées, entrées approximatives, nez sur la partition, il déçoit beaucoup dans la Misa Criolla. Aussi, quelle transformation quand le voilà solaire dans « Bésame mucho » ! Car après l’entracte, nous changeons d’ambiance : place à la « Fiesta Latina », succession de chansons latino-américaines où les musiciens s’en donnent à cœur joie. Le pianiste Christophe Larrieu se libère, le percussionniste et les guitaristes se lancent à tour de rôle dans des improvisations magiques. Quelques personnes dans le public se mettent à danser, des refrains sont chantés ici et là au parterre. On aura frôlé la communion dont le chef a tant rêvé.

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