Ce soir, le public de la Halle aux grains va danser ! Ballets, scherzos, rhapsodie, oiseau en feu, rossignols, abeilles et balais : l’Orchestre National du Capitole de Toulouse veut faire travailler notre imaginaire. Commençons par lever haut notre chapeau pour saluer la performance de Floriane Tardy : dans la Rhapsodie de Debussy, la clarinette solo de l’ONCT a remplacé en peu de temps le Suisse Martin Fröst qui était attendu ce soir. La création française du Concerto pour clarinette de Michael Jarrell est donc repoussée à une date ultérieure, et c'est L'Oiseau de feu de Stravinsky qui le remplace.

Floriane Tardy / Pascal Rophé © Romain Alcaraz
Floriane Tardy / Pascal Rophé
© Romain Alcaraz

L'interprétation de Floriane Tardy sera un souvenir marquant, pour elle c’est certain et pour nous aussi. À l’intérieur du cadre serré tenu par le chef de ce soir Pascal Rophé, elle donne tout son talent et s'empare de sa liberté d’expression. Floriane Tardy est en même temps un timbre fondu au cœur intime de l’orchestre dont elle est issue, et une soliste assumant crânement les traits épouvantables du morceau de concours dessiné par Debussy.

Le concert commençait avec le Scherzo fantastique, œuvre d’un jeune Stravinsky inspirée des abeilles portraiturées par Maeterlinck. Malgré un tempo plutôt retenu, on sent de l’énergie. Mais elle peine à se maintenir : un nimbe terne recouvre les sons, comme si les musiciens retenaient leurs effets. Ils sont comme enfermés dans la battue sérieuse imposée par Pascal Rophé.

Il y avait une logique à placer L'Oiseau de feu à la suite du programme : c’est en écoutant le Scherzo fantastique que Diaghilev a eu l’idée de passer commande de la musique du ballet à Stravinsky. Pour cet envoûtant festin de timbres et de couleurs, le chef dirige sans partition. Les premières mesures s’étirent, les silences respirent mal : l’oiseau a bien du mal à décoller. Dans la Ronde des princesses, c’est la tournée des solistes. Chacun fait de son mieux mais on s’ennuie terriblement. Quand l'affreux Kastchei survient, la musique est là, elle pulse fort, on entend chaque note de chaque instrument, le tissu rythmique est impeccablement cousu, mais on a perdu le sens musical et expressif. Pour couronner l’ensemble, la grosse caisse semble s’être trompée de partition, elle s’est crue dans le Dies irae du Requiem de Verdi. Le basson solo fait tout ce qu’il peut pour animer la Berceuse, mais elle est prise tellement lentement ! Et quand sonne la grande fanfare finale, censée représenter la liesse populaire, l'élan est plus académique que festif. C’est le bon moment pour l’entracte.

Le Chant du rossignol, poème symphonique que Stravinsky a tiré de son opéra Le Rossignol, ouvre la seconde partie. Assez tôt dans la partition, un trombone déroule un glissando qui fait rire le public. Cette pitrerie volontaire semble détendre l’orchestre, qui joue habilement des contrastes dans la chinoiserie qui suit. Les nombreuses expérimentations de timbres sont bien mises en valeur par des groupes d’instrumentistes concentrés et concernés : ils se passent la balle avec une continuité rythmique réussie. La flûte poétique de Mélisande Daudet fait merveille dans l’air du rossignol. La tension entre l’oiseau mécanique et le rossignol est bien présente, de même que le thème de la mort, aux cuivres graves. La fin est davantage étiolée que mélancolique, la poésie ayant du mal à percer sous la battue du chef.

Le début de L’Apprenti sorcier de Dukas nous fait un peu trembler : chaque mesure de l’introduction semble décomposée en sous-unités sans lien entre elles. Heureusement, dès que le thème du balai enchanté apparaît, la magie opère. Après le coup de hache qui fend le balai en deux, les silences sont habités, les accelerandos très bien gérés. Surtout, la précision de l’orchestre et celle du chef se rejoignent enfin : on avance dans un brio habilement découpé au laser. Le pupitre des trois bassons est exceptionnel, il se régale et nous avec. Longtemps après le concert, une pulsation féérique vibrera dans notre mémoire.

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