On ne reçoit pas tous les jours à Toulouse un orchestre vieux de 476 ans qui compte parmi ses directeurs musicaux Daniele Gatti, Herbert Blomstedt, Christian Thielemann… Vous l’avez ? Bravo ! Oui, ce mercredi soir, c'est la Staatskapelle de Dresde qui était invitée à se produire dans la Halle aux grains sous la direction de Tugan Sokhiev. Mais avant la Septième Symphonie de Bruckner, c’est Sol Gabetta qui va occuper le devant de la scène, dans le redoutable Premier Concerto pour violoncelle de Chostakovitch.

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Sol Gabetta et la Staatskapelle de Dresde dans la Halle aux grains
© Oliver Killig

Tendue, non par le stress mais par la ligne intérieure de la musique, les lèvres pincées, animée par un regard de guerrière, la soliste prend la partition à bras-le-corps ; elle en a une vision impérieuse qui fusionne à chaque instant avec le geste calme et précis de Tugan Sokhiev. Le chef russe n’éprouve aucun besoin d’en rajouter devant un orchestre qui avance, droit, redoutable. Pas de moulinets alambiqués pour franchir les changements permanents de mesure du premier mouvement : quelques indications, une inclinaison des bras ou du corps et la masse orchestrale répond comme une nuée d’étourneaux.

Le début du « Moderato » est d’une pureté et d’une clarté éblouissantes. Les grandes phrases du violoncelle forment comme un arc, avec un niveau de concentration d’énergie qui nous terrasse. Petit à petit on s’élève, jusqu’à se fondre dans un univers éthéré lointain, quand résonne le célesta en dialogue comme des étoiles chutant au sol. Enchaînée, la « Cadenza » est posée avec calme par une Sol Gabetta souveraine de son instrument. Le début lent, pesant, est blindé de silences lourds d’un sens mystérieux. Les doubles pizzicati sont accablants, ils tombent comme des coups de poignard. Progressivement, l’archet s’anime jusqu’à prendre feu. La virtuosité de la partition est folle, la maîtrise de la violoncelliste argentine absolue. Dans les déluges de notes et les bonds sur les cordes, contempler la souplesse et la sérénité absolues de son poignet droit (depuis notre place située à dix mètres d’elle) provoque un véritable sentiment de dissociation.

Après l’entracte, nous remontons plus haut dans la Halle aux grains, pour mieux ressentir les effets de la masse orchestrale brucknérienne. « Souveraine », quel autre mot pour décrire l’exécution de cette Septième Symphonie ? C’est à des micro-détails que l’on distingue la grandeur d’une interprétation. Ainsi du trémolo qui ouvre l’œuvre : au lieu d’être alignés dans leur geste, les violons n’ont pas la même cadence, créant un tapis sonore proche du brouillard, sur lequel l’unisson parfait des cors et des violoncelles s’élève, comme un seul homme émergeant du sol. Débarrassé de tout besoin de conduite ou de battue, détendu, Tugan Sokhiev se concentre sur l’essentiel : imprimer un tempo, ajuster les masses des pupitres, pousser au chant…

La Staatskapelle de Dresde dans la Halle aux grains, dirigée par Tugan Sokhiev © Oliver Killig
La Staatskapelle de Dresde dans la Halle aux grains, dirigée par Tugan Sokhiev
© Oliver Killig

Au cœur de ce bonheur musical, l’« Adagio » se détache. Le thème dramatique donné par le bloc charpenté des tuben wagnériens est suivi par l’ensemble des violons, jouant sur la corde de sol, d’une beauté désespérée, d’une profondeur et d’une gravité folles. La plus petite articulation est soignée, les pupitres se répondent dans un continuum parfait, les moindres thèmes secondaires sont relevés… Le mouvement s’achève dans l’unité des huit cors, au fond, tout au fond, en bas, tout en bas. Mort, peut-être (celle de Wagner qui inspira Bruckner), mais sérénité évidente.

Le « Scherzo » jaillissant fuse et fourmille. Le finale est pris bien mouvementé, comme le demande le compositeur autrichien, presque rapide. Une dernière fois, le son rond, puissant, plein, de la Staatskapelle de Dresde, emporté par des roulements de timbales magnifiques, nous emplit l’âme et le corps. Pas le temps de profiter de l’extinction du son : le public toulousain crie sa joie d’avoir été ici ce soir, rappelle, rappelle, avec un niveau d’enthousiasme dont les murs de briques garderont longtemps l’écho.


Ce concert a été organisé par Les Grands Interprètes.

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