Hilary Hahn, Sibelius, la Symphonie fantastique... Voilà un programme dont il n'est presque plus nécessaire de présenter les protagonistes. Mikko Franck tient toujours noblement la baguette de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, son contrat ayant été prolongé jusqu'en 2022 après un succès amplement mérité depuis 2015. Le choix de cette symphonie est logique, pour les cent cinquante ans de la mort de Berlioz. Hilary Hahn, quant à elle, porte toute une école du violon, une génération presque, depuis ses débuts en 1997. Pendant ces deux dernières décennies, ses enregistrements des Sonates et Partitas de Bach sont devenus des références modernes.

C'est donc avec elle qu'on se lance dans le Concerto pour violon de Jean Sibelius, une des œuvres les plus connues du répertoire violonistique. Hahn est des instigateurs de cette génération des parfaits techniciens de l'instrument. Très peu de choses sont à redire de son exécution, sinon une ou deux vagues faussetés, qui sont déjà surprenantes de sa part. Mais ce n'est pas le plus intriguant. On sent dès le début, dès le premier air du premier mouvement, que Hahn ne prend pas le temps d'approfondir son vibrato, d'étendre son phrasé dans un chant pourtant si passionné. Les airs de Sibelius sont des moments que le public attend, car leur exaltation est débordante. Hahn, malgré le degré d'exigence et de propreté qu'on lui connaît, reste dans une interprétation au premier degré. Si elle brille dans des moments très impressionnants du troisième mouvement, démontrant notamment une capacité de ricochet d'archet à en perdre son latin, on reste sur sa faim à d'autres passages. Elle a plusieurs occasions, notamment dans la cadence du premier mouvement où l'émotion décolle presque, mais son son n'est pas plein, pas aussi fourni et incarné qu'il ne l'a été quand elle jouait la même œuvre il y a quelques années.

Le bis est d'une tout autre envergure. Hahn exécute la « Sarabande » de la Partita n° 2 de Jean-Sébastien Bach. L'interprétation, d'une beauté et d'une intelligence incomparable avec d'autres musiciens jouant Bach en bis, dévaste la salle par une vague d'émotion sincère. Les Sonates et Partitas sont les œuvres de la solitude, composées semble-t-il peu de temps après la mort de l'épouse de Bach, Maria Barbara. Ses meilleurs interprètes en sont les plus introvertis, les obsessionnels isolés, ceux qui n'ont pas un ego d'acier à asseoir sur tout un orchestre. Quand elle la joue, Hahn est le meilleur porte-étendard de cette musique. Espérons qu'elle posera une empreinte comparable sur le style romantique brillant qui caractérise l'œuvre de Sibelius.

S'ensuit, un entracte plus tard, la Symphonie fantastique de Berlioz. Si le Philhar’, pendant le concerto, était quelque peu en retrait, pas parfaitement exact dans ses entrées, pas complètement présent – et c'est souvent le cas quand il accompagne un soliste –, cela crée un grand contraste avec l'investissement et la personnalité qui s'en dégage sur d'autres œuvres symphoniques. La musique de Berlioz est rendue avec une intelligence toujours redoutable : la théâtralité de la pièce, remarquable notamment dans son écriture en récitatif – avec ses solos dans le vide, comme si les instruments étaient des personnages déclamant leur texte –, est soulignée par des sons très épurés et une propreté irréprochable. Chaque musicien montre un talent de soliste hors pair.

On distingue exactement l'imagerie de chaque mouvement, chaque scène : après une introduction amoureuse et langoureuse avec les « Rêveries », l'enchaînement avec « Un bal » laisse entrevoir une scène brillante, emplie d'autant de magie que d'élégance. La « Scène aux champs » et ses fameuses interventions de cor anglais et de hautbois, se répondant comme deux cornes de part et d'autres de plaines désertes, est brillamment introduite par Christelle Chaizy et Cyril Ciabaud qui part lui répondre depuis les sièges derrière la scène. Cet élément de mise en scène, pas très utile pour le son puisque le hautbois projette tout aussi bien de loin que depuis la scène, semble un peu artificiel mais pas hors de propos.

La « Marche au supplice », mouvement le plus court, garde cependant l'attention jusqu'à un « Songe d'une nuit de sabbat » magnifiquement déjanté, jubilatoire et terrifiant à la fois. Si on a pu reprocher à l'orchestre un désir de perfection et de contrôle sonore pouvant aplanir leurs interprétations, l'ensemble lâche complètement prise dans le dernier mouvement. Les cloches fatidiques qui annoncent le Dies Irae résonnent, et on ne les voit pas. Il faut un moment pour comprendre qu'elles sont jouées depuis les coulisses, dissimulées exprès pour donner cette sensation fantomatique – une surprise très judicieuse. De par cet engouement, et cet attachement toujours renouvelé à souligner chaque trait, chaque intention, chaque intervention, toute la modernité du texte est mise en évidence. On ne peut que remercier les musiciens de l'orchestre de s'y attacher avec autant d'application.


[mise à jour: une version antérieure de cette critique faisait erreur sur le nom de la musicienne chargée du cor anglais. Nous demandons à nos chers lecteurs de nous pardonner cette confusion]

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