Après son annulation en 2020 pour cause de crise sanitaire, puis une édition numérique l’année dernière, le Festival de Pâques est heureux à présent de retrouver son public en salle au Grand Théâtre de Provence, son directeur exécutif Dominique Bluzet précisant que cette édition 2022 est dédiée aux artistes et au peuple ukrainiens, sans oublier les artistes russes qui sont privés de liberté de parole.

C‘est ainsi qu’en préambule au programme annoncé, Barbara Hannigan interprète a cappella le chant ukrainien « J’étais debout et j’écoutais le printemps » de Kyrylo Stetsenko, un moment suspendu de pure émotion, dans un silence absolu de la salle. Aucun doute sur la suprême musicalité de la soprano, ni sur sa facilité d’extension vers le suraigu, certaines notes étant reprises comme en écho, par une chanteuse en coulisse. En enchaînant sans applaudissements, Barbara Hannigan fait ensuite demi-tour sur son pupitre pour assurer son rôle de cheffe d’orchestre, à la tête du Philharmonique de Radio France.
On reste dans le domaine de la douleur avec le Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange » d’Alban Berg, qui puisa son inspiration dans la mort de Manon Gropius, disparue à l’âge de 18 ans. La prestation du violoniste Christian Tetzlaff est enthousiasmante : impeccable précision d’intonation, folle virtuosité dans les moments les plus agités, mais aussi extrême expressivité des passages doux. On note le fort caractère du musicien dans ses puissants coups d’archet sur certaines attaques, la partition étant émaillée de difficultés, par exemple lorsque l’instrumentiste exécute quelques pizzicati en même temps qu’il frotte l’archet sur les cordes. Barbara Hannigan rend aussi passionnante cette pièce de Berg, où l'émotion tranquille alterne avec des séquences plus démonstratives, illustrées entre autres par le brillant des cuivres. À l’issue du concerto, le soliste accorde en bis le Largo d’une sonate de Bach, particulièrement fluide et mélodieux.
La satisfaction des oreilles diminue toutefois après l’entracte, au cours du Requiem de Mozart chanté par les quatre solistes en avant-scène et le Chœur de Radio France en fond de plateau. La préparation technique n’est pas en cause, l’ensemble des artistes ayant d’ailleurs donné le même concert la veille au soir dans la capitale, à l’Auditorium de Radio France. Mais ce sont plutôt les choix interprétatifs de tempos et de nuances, opérés par Barbara Hannigan, qui ont du mal à convaincre et séduire l’auditeur. Après un Introitus plutôt lent, de nombreux passages sont en effet pris plus tard à un rythme rapide, parfois trop rapide pour susciter recueillement ou émotion. Certains numéros avancent à marche un peu forcée, sans aucun épanchement, comme le Recordare ou le Lacrymosa, le volume orchestral déséquilibrant aussi par instants la balance entre musique et chant.
Les choristes préparés par Maria Forsström émettent un son qu’on peut qualifier de collectif, l’oreille ne distinguant parfois pas très clairement les limites sonores de chacun des quatre pupitres. Les quatre solistes font quant à eux entendre des voix mozartiennes, musicales mais sans grande ampleur lyrique. La soprano Johanna Wallroth fait exception en projetant davantage son instrument aux beaux aigus aériens. La mezzo Adanya Dunn est bien timbrée mais la plus discrète en volume, le ténor Charles Sy chante d’un son bien concentré et juste tandis que la basse Yannis François se montre moins impeccable d’intonation. Plus que cette exécution propre mais peu marquante du Requiem de Mozart, c’est la première partie qui restera en priorité dans notre souvenir.