« Enfant terrible », dit-on de lui dans son portrait du magazine de l'Opéra. « Celui par qui arrive le scandale ». Maintes fois, le metteur en scène Calixto Bieito s'est illustré par des choix tranchés, violents, des représentations difficiles frisant le voyeurisme – on repense à ses prostitués de L'Enlèvement au Sérail, ses viols du Trouvère. Quand il propose un spectacle nommé The String Quartet's Guide to Sex and Anxiety, on pourrait s'attendre à une forme de vulgaire trash qui donnerait à frémir d'un délicieux dégoût, ou du moins d'une prise de position à remettre en question. Pourtant, ce spectacle à mi-chemin entre théâtre et concert fait preuve d'une certaine forme de finesse et d'intimisme, emmenant ses spectateurs vers des terres inattendues en ce Festival d'Automne.
La forme est simple, mais ingénieuse : quatre acteurs trouvent leurs doubles dans un quatuor à cordes. Les comédiens britanniques surtitrés répondent au Heath Quartet, formé en 2002 au Royal Northern College of Music. Entre chacun des monologues, un mouvement se fait entendre, répondant comme un écho, un miroir de ce qui se dit ou est à venir. Le Quatuor à cordes n° 2 de György Ligeti encadre les différentes introductions des personnages, variant entre longues trames dissonantes et attaques violentes avec une tension perpétuelle. Derrière les artistes, un mur de chaises d'école empilées forme le fond de la scène dans un ordre rigide, tandis que des pupitres tordus servent d'obstacles sur ce plateau mal rangé.
Graeme Rose commence, tout de noir vêtu, et lit comme un prêcheur le texte de Robert Burton, The Anatomy of Melancholy. Peu à peu, les thèmes se profilent : après cette première figure semblant détachée du monde, Nick Harris présente un personnage profondément anxieux, bourré de peurs plus absurdes les unes que les autres avec un jeu humoristique et tendre, sur des extraits de My Age of Anxiety de Scott Stossel. Mairead McKinley s'effondre au sol pendant Ligeti dans une crise feinte de spasmophilie. Elle décrit, d'une manière gauche et pathétiquement drôle, ses vains efforts à contenter son mari sexuellement, avant d'évoquer, dans des cris glaçants, un viol sinistre de son passé. Cathy Tyson est la dernière à prendre la parole, répétant, encore et encore, l'épisode de la mort de son fils enfant par maints détails, comme si ce moment l'avait figée dans le temps. Ces quatre figures de la névrose freudienne – le neurasthénique, le phobique, l'hystérique et l'obsessionnelle – parlent finalement bien plus d'anxiété que de sexe, et plus largement de l'angoisse existentielle, du handicap primaire de l'Homme : « Un joug pesant accable les fils d'Adam (…) : leurs pensées, les craintes en leur cœur, les images des choses qu'ils attendent et le jour de leur mort. »
Pendant ce temps, le Heath Quartet impressionne par l'efficacité de son rôle. Aussi précis que possible, imperturbables – malgré les nombreuses tentatives des personnages d'attirer leur attention –, ils sont cette existence implacable, ce dérouleur du temps, fluide et neutre, impossible à influencer. Le choix des pièces est pertinent, Ligeti étant une référence d’œuvre contemporaine anxiogène dans la narration – ce qui explique ses nombreuses utilisations au cinéma (Shining, Shutter Island). Cependant, la partie musicale reste anecdotique : si les tons de certains textes coïncident avec ceux des mouvements qui les encadrent, c'est loin d'être toujours le cas et rarement très évident. Le quatuor prend alors un rôle proche du décoratif, résolument important dans sa représentation mais peu dans son langage.
Après la dernière présentation, tout le monde se rapproche du bord de scène, semblant fixer un point au loin avec terreur. Les chaises se sont rapprochées à l'insu de tous : elles tombent bruyamment, s'effondrent sur scène dans un fracas terrible. La lumière commence à rentrer sur le plateau, puis le Heath Quartet enchaîne avec le Quatuor n° 11 en fa mineur de Beethoven.
À partir de là, au lieu de chercher à les perturber, les comédiens écoutent les musiciens avec une forme de candeur, d'extase. Beethoven et la tonalité semblent rapporter de l'harmonie à un monde d'angoisse. Toujours est-il que les quatre personnages essaient de s'extirper plus paisiblement de leur condition. Sans y parvenir, malheureusement. Les derniers textes semblent se répéter plus qu'apporter une réponse, et Our Need of Consolation de Stig Dagerman, déclamé par Graeme Rose, ne console que très peu. Les extraits musicaux, souffrant de n'être que du baume sur une plaie ouverte, mettent l'évolution peu évidente du propos en pause. Si Bieito disait « J'espère que ce spectacle apportera de l'espoir », les messages optimistes passent inaperçus. Il semblerait qu'il faille tout simplement continuer, et tenir.