Le Trio Venturis, formé de jeunes musiciens issus du Conservatoire d'Amsterdam, s'est présenté devant un public relativement spécifique pour une belle expérience musicale à Laren, aux Pays-Bas. Ces jeunes et talentueux musiciens et leurs auditeurs étaient assemblés dans un institut pour personnes atteintes d'autisme. Incompétent pour évaluer l'effet de leur prestation sur les personnes touchées par ce handicap, nous devons cependant saluer la présence des Venturis parmi elles.
Sur le plan musical, le concert mérite les applaudissements. La formation créée en 2016 comprend une violoniste lettone, Stella Zake et deux musiciens italiens, Marco Danesi, clarinette et Paolo Gorini, piano. Peut-être moins étendue que la littérature pour clarinette, violoncelle (ou alto) et piano, celle que ces jeunes solistes ont mis à leur répertoire reste éminente. L'Histoire du Soldat de Stravinsky, (version du compositeur-même) semble emblématique pour une telle formation. Placée au centre du programme, elle succédait au trio Paul et Virginie d'Amilcare Ponchielli et précédait le somptueux Trio de Paul Schoenfield. Deux duos enrichissaient encore la prestation : un extrait de la Sonate pour clarinette et piano en Ré majeur de Nino Rota et la Valse sentimentale pour violon et piano, Opus 51 de Tchaikovsky.
Les atouts du Trio Venturis et de chacun de ses membres s'appréciaient dans un large éventail de qualités. Techniquement, une virtuosité éblouissante : les glissandos de Marco Danesi à la clarinette, les doubles ou triples cordes et les ornementations de Stella Zake, la précision et la clarté de Paolo Gorini au piano toujours en cohésion avec les deux autres instruments, en sont quelques illustrations. Sur le plan de l'interprétation, nuances, timbres, articulations, cohésion sont le fruit d'un travail commun assidu et exigeant, à n'en pas douter. Ceci apparaît dès les accents naturellement romantiques de Paul et Virginie de Ponchelli.
L'Histoire du Soldat est rendue avec une grande expressivité. La difficulté pour une telle formation à rendre sa densité à l'œuvre est parfaitement surmontée. Les Venturis rendent compte à merveille des ressources de chaque instrument dans une partition où se déploie une extraordinaire fécondité de sonorités et de rythmes : styles graves, burlesques, festifs s'entrecroisent, créant une succession de vives impressions. La complexité rythmique avec ses innombrables contre-temps et syncopes, est maîtrisée de sorte que son exécution, loin d'en trahir le caractère ardu, n'engendre qu'envolées pleines d'entrain. Le deuxième mouvement, tourne l'attention vers la violoniste dont l'instrument constitue un sujet essentiel de l'œuvre. Requérant une agilité parfaite dans les mouvements d'archet, la suite de spiccatos dont est constellée cette partie permet à Stella Zake de briller par un jeu bondissant, précis, énergique à l'image de toute sa prestation. Le Petit Concert (3ème mouvement) combinant des mesures à deux, trois et cinq temps s'achève sur une impression de joyeuse marche brillamment conduite par les trois musiciens. La triple danse qui suit - Tango, valse, ragtime - semble transcrire fidèlement le rêve dont font état les biographes de Stravinsky : « une jeune bohémienne assise au bord d’une route. Elle avait un enfant sur les genoux et elle jouait du violon pour l’amuser ». Stella Zake donne étonnement corps à ce personnage rêvé et stylisé tandis que le final, « La danse du diable » fournit encore au Trio matière à des traits d'une vitalité débordante.
Encadrant cette œuvre, le 1er mouvement de la Sonate pour clarinette et piano de Nino Rota et la Valse sentimentale de Tchaikovsky pour violon et piano confirment, sous une autre forme, l'attachante sensibilité des interprètes. Excellent style mélodiste de la clarinette de Marco Danesi, très fluide. Clavier tout en souplesse de Paolo Gorini à l'écoute de chacun de ses partenaires, renforçant et complétant timbres et accentuations. Pour sa part, Stella Zake brille par la célérité de ses gammes tout en manifestant une profonde inspiration. En forme de bouquet final, les Venturis ont proposé le Trio pour Clarinette, Violon et Piano de Paul Schoenfield : prouesses de virtuosité, inventions étonnantes et splendides réminiscences sur trame Klezmer. Signant ainsi toute leur prestation, ces jeunes interprètes, récemment primés en France lors du Concours International de Musique de Chambre d'Illzach, ont encore préfiguré le brillant avenir qui semble les attendre.