Dix Mois d’Ecole et d’Opéra, qui célèbre cette année ses vingt-quatre ans, est né d’un partenariat unique entre l’Opéra National de Paris et les Académies de Paris, Versailles et Créteil, s’accordant tous sur un objectif commun, celui de permettre aux jeunes élèves de Réseaux d’Education Prioritaires de retrouver le chemin de la réussite scolaire via la sensibilisation à l’opéra.

 

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Pourquoi avoir ciblé en priorité ces réseaux scolaires?

Il faut savoir que le programme est né d’une ambition avant tout pédagogique. Le but final n’était pas uniquement de faire aimer l’opéra à ces élèves mais de les aider à retrouver le chemin de la réussite scolaire. C’est par le biais de la création artistique, par les créations de l'Opéra et en plaçant l'éducation artistique et culturelle au cœur des apprentissages, que nous redonnons aux élèves le goût de l’école. Ainsi, les rencontres professionnelles que nous organisons leur permettent non seulement de découvrir des métiers dont ils n’avaient jusqu’alors qu’une connaissance sommaire, mais également de les sensibiliser à l’importance de leur apprentissage scolaire comme moteur de réussite dans les voies qu’ils poursuivront. Un menuisier à l’Opéra de Paris leur parlera par exemple de l’importance des mathématiques, de la physique, et de l’informatique dans son métier.

Par ailleurs, les fondateurs du projet ont été portés par une ambition commune issue d’expériences partagées dans ces Réseaux d’Education Prioritaires. Les besoins et l’urgence d’agir étaient donc déjà en grande partie identifiés. Ils accompagnent les projets pédagogiques des équipes d'enseignants engagés et motivés.

 

Quelles sont les barrières à l’accès à l’opéra rencontrées par ces élèves? Comment Dix Mois d’Ecole et d’Opéra les franchit?

La première phase de ce programme s’apparente généralement à une série d’a prioris à briser. Elle commence par une visite des coulisses de Bastille et de Garnier, systématiquement efficace pour casser le cliché de la “grosse femme qui chante”, et révéler la rigueur, la concentration, et la passion qui se cachent derrière. Découvrir l’envers du décor est aussi un excellent moyen de leur faire comprendre comment se construit la magie qui opère lorsque le rideau se lève chaque soir. La découverte des lieux et des métiers de l’opéra s’accompagne d’une préparation pédagogique par les professeurs des établissements partenaires, sur les oeuvres de la saison.

Il nous arrive très souvent de constater un choc émotionnel chez bon nombre des élèves, lors de leur première découverte de l’Opéra. Signe que la préparation est réussie et que s’ouvre un terrain fertile d’attention, sinon d’apprentissage. Les barrières et a prioris sur l’opéra sont déjà loins derrière eux à ce stade.

 

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Après avoir bénéficié de ce programme, les élèves approfondissent-ils la pratique ou la découverte à titre personnel?

Il est encore difficile de mesurer précisement notre impact à long terme et de répondre à des questions du type “qui joue d’un instrument aujourd’hui?”, “qui se rend régulièrement à des représentations?”, “à quelle fréquence?”, …

Nous avons entre 15 000 et 17 000 anciens, et la dernière étude datant d’il y a neuf ans, pour les quinze ans du programme, montre que trente d’entre eux ont été identitfiés comme encore liés à l’opéa ou à la musique classique en général. Nous constatons depuis trois ans un nombre de plus en plus important d'élèves intégrant les cours de danse, de chant et d'instruments en conservatoire ou école de musique. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à effectuer un stage à l'opéra. Nous avons lancé des pistes de travail pour arriver à des outils de mesure précis, utilisant notamment les résaux sociaux.

 

Les parents n’ont-ils pas quelques objections à ce que leurs enfants, en difficultés scolaires, suivent un programme qui les éloigne des bancs de l’école?

Les parents sont une question que nous prenons bien sûr en compte. Nous souhaitons autant que possible les associer à ces activités. La crainte de l’Opéra comme “cour de récré” peut être compréhensible, c’est pourquoi nous organisons des visites et des rencontres spécialement pour les familles, ce qui créé un terrain favorable à la discussion autour du projet. Cela a d’ailleurs permis à plusieurs reprises de recréer les liens entre parents et établissements, qui parfois sont très faibles dans ces Réseaux d’Education Prioritaires.

Parallèlement à ces découvertes et rencontres, nos mécènes nous ont aidés à créer des ateliers de pratique artistique pour les élèves. La Classe des Petits Violons a ainsi permis à une classe de CE1 du 18ème arrondissement de Paris de s’initier au violon dans un cadre scolaire, via des cours délivrés quotidiennement. Nous avons obtenu une dérogation pour étaler ce programme sur quatre années scolaires, ce qui a facilité la création de bases solides. Nous sommes heureux de constater que quatre d’entre eux ont intégré des conservatoires de région, et trois ont participé avec succès au prestigieux concours Rampal Vatelot.

Pour relier ce point à la question des craintes des parents, une famille avait émis des réticenses quant à la participation de leur fils à ce concours. Après des discussions avec les responsables pédagogiques et des échanges dans leur cadre religieux privé, ils ont décidé de l’accompagner et de le soutenir dans cette aventure. Quelques mois après, leur fils recevait le premier prix du concours et terminait son année scolaire avec de nets progrès. Aujourd'hui les élèves sont au collège et poursuivent leur apprentissage instrumental. Nous avons ouvert notre deuxième promotion dont l'effectif instrumental a été enrichi par des altos et violoncelles.

 

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Le jeune public est-il une cible intéressante pour développer les nouvelles technologies dans l’opéra (iPad, applications, rediffusions live, …)?

Le numérique est en effet au coeur de nos réflexions actuelles. Plusieurs pistes visant à intégrer davantage le numérique dans le programme Dix Mois d’Ecole et d’Opéra sont en cours. Cela répond non seulement aux directives ministérielles du “numérique à l’école”, mais également à notre conviction que de bons outils facilitent nettement la rencontre entre ces deux mondes a priori si éloignés. La première réalisation est la déclinaison numérique de notre journal “Dix Mois”.

 

Avez-vous connaissance d’autres programmes de ce type dans le monde? Si oui, quels échanges et partages de bonnes pratiques entretenez-vous ensemble?

Nous ne connaissons pas d'autres programmes inscrits sur une durée de deux ans dans d'autres théâtres. C'est d'ailleurs ce qui fait entre autres la force de notre programme. Les évaluations ont permis de mettre en évidence des changements comportementaux des élèves et des acquisitions de codes sociaux lors de la première année avec des incidences positives accentuées lors de la seconde année.

Ce qui ne veut pas dire que les autres structures ne développent pas de projets ambitieux. Les services pédagogiques sont parfois force de proposition et innovants. A l'Opéra de Paris, le service pédagogique regroupe le Service Jeune Public, Opéra Université et Dix Mois d'Ecole et d'Opéra.

Grâce a notre projet de la saison 2013-2014, nous travaillons, a l'initiative de l'Opéra de Paris et de Dix Mois d'Ecole et d'Opéra, sur une ouverture nationale et menons un projet en coproduction avec l'Opéra de Reims, l'Opéra National de Lorraine, et les Académies de Reims et Nancy. Par notre spectacle 14+18 qui tournera sur les trois théâtres et un travail pédagogique, nous aborderons la Grande Guerre et les courants artistiques qui la traversent. Ce projet est labellisé par la Mission du Centenaire de la Grande Guerre. Dix mois d'Ecole et d’Opéra pourra ainsi être une source d'inspiration laissée à l'appréciation des autres structures. Le spectacle sera ensuite repris à Montpellier.

De même , nous serons présents la semaine prochaine à Helsinki dans le cadre des colloques de Reseo pour rencontrer nos homologues européens. Enfin, suite au merveilleux projet européen que nous avons mené en 2008, nous envisageons de réitérer une deuxième édition dans un futur proche .

 

On peut assez facilement se faire une idée de ce que sera Dix Mois d’Ecole et d’Opéra dans dix mois, et dans dix ans?

Nous espérons que le programme bénéficiera toujours du soutien inconditionnel des directeurs de l'opéra, des recteurs des trois académies et du soutien des mécènes dont la fidélité et la générosité ne se sont jamais démenties. Enfin, nous souhaitons qu'un nombre encore plus important d'élèves (re)trouve le chemin de la réussite grâce à l'art et à la culture!

 

Christine Eschenbrenner, Alexis Ouspensky, et Dominique Laudet - Dix Mois d’Ecole et d’Opéra

Propos recueillis par Martin Arnaud