On le surnomme « le poète du piano » : Adam Laloum, dont on ne compte plus les succès discographiques et publics, est venu sauver la soirée des Flâneries Musicales de Reims en remplaçant au pied levé Nicholas Angelich, souffrant. L’attente était grande et le public n’a certainement pas perdu au change dans un splendide récital Brahms et Schubert, compositeurs de prédilection du pianiste français.

Adam Laloum
© Harald Hoffmann

Faire dialoguer ces deux monstres sacrés du romantisme allemand prend tout son sens : Adam Laloum montre une approche complémentaire des deux compositeurs, avec pour commencer les fameuses Sept Fantaisies op.116 tout sauf démonstratives. Ils sont rares les pianistes qui n’empoignent pas le premier Capriccio de cet opus avec force. Angelich, qui devait jouer ce soir, en fait partie. Laloum prend le contrepied de cette vision : le son est tout de suite fondu, le tempo modéré, les silences légèrement rallongés… Il capte ainsi l’attention de son auditoire et ne la relâchera plus jusqu’à la fin. Les mouvements s’enchaînent, avec toujours cette même volupté. On entend ici et là des éléments qui surprennent : Laloum fait par exemple le choix d’alléger certains accords, ou bien d’insister et de ralentir un arpège, montant jusque dans des aigus cristallins. Ces choix interprétatifs apportent ainsi cet opus 116 une couleur infiniment et irrésistiblement tendre.

Laloum récidive dans les Trois Intermezzi op.117, incontournables de la littérature pianistique, avec le fameux Andante central. Le pianiste aborde ce mouvement dans un tempo allant, et ne verse jamais dans le pathos et les larmoiements inutiles. Dans un geste d’une grande dignité et simplicité, avec un mouvement de flux et reflux délicat au moyen de pianissimos très expressifs, Laloum berce le public dans un océan de mélancolie. On pardonne alors la discrétion parfois prolongée de sa main gauche, peu présente et pourtant nécessaire à la structuration de certains passages forte.

Mais c’est une bien menue réserve vite oubliée à l’écoute de la Sonate D.960 de Schubert. Laloum démarre sur la pointe des pieds, maîtrisant parfaitement son effort tel un cycliste en étape de montagne. Car il faut veiller à ne pas s’endormir dans ce premier mouvement fleuve. Laloum fait vivre les voix intermédiaires, captive par des arpèges magiques et des résolutions miraculeuses. Les moyens pianistiques sont infinis : attaques d’une douceur inouïe et legato de rêve, utilisation discrète de la pédale, projection idéale dans un Opéra à l’acoustique mate pourtant peu favorable. Tout tombe dès lors sous l’évidence, entre abandon et résignation lumineuse dans l’ultime Allegro, avec un finale enlevé et brillant. Il ne reste plus qu’à ovationner l'artiste. Nul doute que le pianiste Jean-Philippe Collard, directeur artistique des Flâneries de Reims et présent dans la salle, n’aura pas regretté son choix d’inviter en dernière minute cet immense poète.


Le voyage d'Augustin a été pris en charge par les Flâneries musicales de Reims.

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