Le Théâtre des Champs-Élysées a proposé mercredi dernier en version concert Agrippina de Haendel, opéra composé en 1709 sur un livret magistralement écrit par le cardinal Vincenzo Grimani. Bien que la distribution ait réuni des chanteurs de haut vol, celle qui a dominé la soirée est la mezzo-soprano Joyce DiDonato dans le rôle-titre.
La chanteuse américaine règne sur le plateau dès sa première entrée. D’un tempérament puissant, ardent, féroce quand il le faut, tout en restant féline et séductrice, Joyce DiDonato nous régale avec son interprétation de ce complexe et fascinant personnage haendelien qui lui est familier – elle le retrouvera la saison prochaine au Metropolitan Opera, dans la mise en scène de David McVicar. On reste admiratif devant l’ampleur de sa voix, son souffle interminable, la puissance de ses aigus comme la solidité de ses graves. Un des moments particulièrement aboutis de la soirée est son interprétation du célébrissime air « Piensieri, voi mi tormentate », sur un accompagnement de l’orchestre remarquable de noirceur : les cordes sont idéalement nerveuses, les coups d’archets deviennent violents lorsqu’Agrippina lance toute sa fureur face aux obstacles qui ne cessent de se multiplier et mettent en péril l’accomplissement de son projet (le couronnement de son fils Nerone). À l'autre bout de l'ouvrage, c'est le visage fragile d’une Agrippina attendrie et apaisée – son but est accompli – dans « Se vuoi pace, o volto amato », qui procurera une émotion bouleversante.
Franco Fagioli se montre lui aussi exceptionnel dans son interprétation de Nerone, qu’il incarne avec beaucoup de charme et malice ; cabotin, puéril, son personnage est entièrement soumis à sa mère. Avec Joyce DiDonato, il forment un duo mère-fils des plus convaincants. Déployant une technique admirable jusque dans des vocalises fascinantes, parfois martelées dans une veine comique, jonglant gracieusement avec l’aigu et le grave, le contre-ténor argentin séduit à chacune de ses interventions. Son moqueur « Soto il laure che hai sul crine », qu’il lance à Ottone lorsque celui-ci tombe en disgrâce suite aux manœuvres d’Agrippina, fera sensation dans la salle.