On ne présente plus Les Dissonances, orchestre atypique s’il en est et dont chaque concert constitue un évènement en soi. Quel que soit le répertoire, jouer sans chef représente une performance collective tant cela requiert d'immenses qualités d’écoute mais aussi de confiance mutuelle pour parvenir au bout sans encombre. Après avoir exploré Stravinsky, Strauss ou Schönberg, l’ensemble de David Grimal revient à un programme plus classique avec Beethoven, mais la grande tension scénique qui habite chaque minute du concert rappelle que la routine n’existe pas pour cette formation qui montre encore ce soir à quel point elle peut atteindre des sommets inespérés.

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Les Dissonances à la Philharmonie de Paris
© Andra Focraud

Vouloir interpréter ainsi des compositions écrites à une époque – ici 1806 – où la fonction de chef d’orchestre n’était pas ou peu développée n’est pas un défi historique en soit, cela rapproche même des conditions d’interprétations de l’époque. Mais si la Symphonie n° 4, moins jouée que ses voisines, est de facture encore classique, les nombreux coups de sangs et autres surprises beethovéniennes rendent la pièce plus complexe qu’il n’y paraît. L’auditeur aborde alors le challenge avec circonspection : au-delà des considérations de mise en place (départs, arrivées, transitions…), comment apporter le souffle et l’énergie nécessaires à la pleine réussite de la symphonie sans chef ? Les réponses d’ordre technique arrivent bien vite : tous les pizzicati tombent parfaitement ensemble, les transitions sont effectuées sans le moindre accroc et les articulations comme les dynamiques ne sont pas laissées au hasard. De son poste de premier violon, Grimal ne dirige évidemment pas mais il conduit. Il assure non seulement la continuité dans son pupitre en se retournant constamment vers ses collègues mais encore, d’un battement de pied énergique ou d’une respiration particulièrement sonore, réussit à entraîner tout l’orchestre avec lui ; un vrai Konzertmeister !

Pour ce qui est de l’impulsion générale, les doutes se dissipent là aussi bien vite. Après un premier mouvement aérien mais aussi parfois mystérieux, où les fins de phrases ne sont jamais lourdes et où l’orchestre se montre capable de pianissimos extrêmes, les deux mouvements centraux font valoir une vitalité peu commune. En plus d’un legato de rêve et de réelles variations stylistiques dans les répétitions de l’« Adagio », le « Menuetto » constitue une invitation permanente à la danse (il n’y a qu’à les voir bouger !), et Les Dissonances confirment ainsi la place de choix qu’elles occupent dans le monde orchestral. Car si on salue souvent la performance collective, il ne faut pas oublier que l’orchestre rassemble la crème des musiciens français et européens : Alexandre Gattet (Orchestre de Paris) fait un hautbois solo rayonnant, le combatif Julien Hardy (Philharmonique de Radio France) propose une sonorité estampillée « basson français » ondoyante et David Gaillard (Orchestre de Paris) mène solidement son pupitre d’altos.

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David Grimal
© Bobrik

Avant une symphonie particulièrement remarquée, les musiciens se réunissaient autour de David Grimal pour le célèbre Concerto pour violon du même Beethoven. Bien campé sur ses appuis, le violon mobile, à peine posé sur son épaule, le soliste s’élance avec une certaine retenue dans l’œuvre, dès la première montée en tierces, presque timide. Tout le long du large premier mouvement, il ne cherche jamais à s’imposer ni ne se laisse aller à une virtuosité facile. En s’appuyant sur les premiers temps et en offrant une sonorité qui essaie le plus possible de se fondre dans la masse, il rappelle à quel point ce concerto est, plutôt qu’une opposition constante, un dialogue permanent avec l’orchestre où le soliste vient développer et entremêler les thèmes énoncés dans l’introduction. Le constat est encore plus frappant dans le deuxième mouvement, où des cordes diaphanes accompagnent Grimal qui dessine ses arabesques dans un esprit chambriste parfaitement à propos. Le violoniste prend pour finir le « Rondo » dans un tempo véloce et le fameux refrain, donné d’une manière différente à chaque apparition, surprend agréablement, tenant l’auditeur en haleine jusqu’à la fin.

À l’instar du bis orchestral (le deuxième mouvement de la Symphonie n° 8 de Beethoven, d’une rigueur métronomique implacable), le concert a été empreint d’une véritable joie et d’une largeur d’esprit qu’on ne cesse d’admirer chez Les Dissonances.

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