Dans sa nouvelle production de Noël, l’Opéra National de Lorraine invite le public à la révision du classique d’Offenbach par un double cadrage moderne. Sur le plan global, Bruno Ravella opte pour l’idée astucieuse de mettre le berger Pâris dans les habits de James Bond et de lui confier trois missions audacieuses : 1. séduire la Belle Hélène, 2. l’enlever et, par là, 3. provoquer la Guerre de Troie. Dans le détail, l’actualité culturelle et politique de la fin 2018 s’immisce copieusement dans les répliques – une stratégie peut-être facile, mais non moins efficace pour provoquer les rires qui siéent à l’opéra bouffe. Si musicalement la moisson se révèle satisfaisante, le vrai succès de l’équipe réside dans l’excellent jeu d’acteur des solistes.
Le rideau de l’Opéra nancéien s’est travesti ce soir en treillis militaire, réinvestissant le conflit hellénique par la Guerre Froide. Or, si Pâris 007 accepte sa mission top secrète, dûment muni des artifices d’un docteur No depuis l’ouverture, il l’applique aussi avec un burlesque parachevé. Parachutage, plongée ou déguisement frisent l’échec, et la réussite finale de l’opération n’est assurée que par l’envol d’un hélicoptère salvateur. Philippe Talbot s’acquitte bien de la mission qui lui est ainsi confiée. Ténor léger, ce Pâris est la voix pilier de premier plan de la production, se solidifiant d’intervention en intervention. Le rôle-titre est tenu par Mireille Lebel, dont le très joli timbre, soutenu par une technique performante, est malheureusement très en retrait, dans une retenue qu’on devine contrainte : aléa de santé ? réserve par prudence ? De fait, si les interventions depuis le balcon, façon Évita, ou sur pizzicati de cordes passent bien, Hélène se trouve en revanche vite noyée dans les scènes collectives. Pourtant, son adresse à la Déesse (« Dis-moi, Vénus »), dévoile ce dont est capable ce mezzo-soprano : coquette, spirituelle, fine, la soliste exploite toutes les facettes de cet air polémique ; et son jeu d’actrice est remarquable tout au long de l’opéra. Digne fille de Léda, elle secoue ses ailes, bat froid Pâris dans un premier temps, ridiculise son époux royal et montre toute la duplicité de son rôle.
La mise en scène hilarante confère des identités bien distinctes aux héros grecs : le bouillant Achille (Raphaël Brémard) est un niais, stylé comme un mélange entre le Perceval de Rohmer et un soldat de l’armée napoléonienne ; Ménélas, le roi et « président des riches », campé par le ténor Éric Huchet, un benêt qui a grandement besoin d’être orienté par son frère Agamemnon (Franck Leguérinel, superbe baryton, l’une des valeurs très sûres de la soirée). Ajax I (Christophe Poncet de Solages, ténor) et II (Virgile Frannais, baryton) constituent un savoureux duo comique. Calchas, le Grand Augure assoiffé de sang, possède un énorme charisme, grâce à son interprète Boris Grappe, baryton sonore et acteur vraiment remarquable. Du côté des femmes se distinguent encore tout particulièrement le solide mezzo-soprano de Yete Queiroz, brillant Oreste travesti, puis le soprano Sarah Defrise, en Bacchis version bécasse 2018.
Le sur-jeu que la mise en scène imprime à cet Offenbach est un excellent parti pris, surtout au regard de la qualité que met en œuvre la talentueuse distribution. De concert avec la scénographie suggestive, les décors de Giles Cadle, les costumes de Gabrielle Dalton et les lumières de Malcolm Rippeth, les ballets – qui incluent non seulement les danseurs professionnels, mais parfois tout le plateau – agrémentent ce spectacle de Noël. Dommage que certaines interventions du chœur, notamment la toute première, soient en décalage flagrant avec l’orchestre : Laurent Campellone, moulinant à grands bras, peine alors un peu à remettre de l’ordre dans ses troupes disparates. Mais les tempos adoptés sont plaisants et vifs et soulignent toute la légèreté offenbachienne. La Belle Hélène est un dessert festif en ces veilles de Noël, et il se déguste avec plaisir.