En coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées, le Théâtre du Capitole accueillait la semaine passée le titanesque Boris Godounov de Modeste Moussorgski, opéra composé en 1869, révisé en 1872 mais donné à Toulouse dans sa première version. Dans cette œuvre contant la fin du règne du tsar éponyme au cœur du Temps des troubles, on retrouve à la mise en scène Olivier Py et Daniel Izzo qui tentent l’actualisation.

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Boris Godounov au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Les décors et costumes de Pierre-André Weitz, entre ombre et lumière, participent à la mise au bord de l’abysse des protagonistes : on aura tantôt des portes monumentales grises et blanches, des intérieurs d’or ou de marbre du Kremlin et d’autres lieux de pouvoir, tantôt des façades d’immeubles bétonnés caractéristiques du soviétisme qui viennent souligner la misère de la population maltraitée et mécontente. De même, les costumes d’or du tsar en représentation et des aristocrates répondent aux tenues grises et blanches des militaires et aux grands manteaux noirs des pauvres. Le bâtiment de la Douma d’État est plus particulièrement représenté lors des réunions des boyards, opérant un premier rapprochement entre les temps modernes et contemporains. Le seul élément plus métaphysique sera la mort de Boris dans un feu rougeoyant, enfers achevant de consommer le tsar mais aussi son fils.

Si l’ensemble est fonctionnel, certains éléments de la mise en scène versent dans la caricature (la gestuelle comique d'un pape, les drapeaux du tsar, de l’URSS et de la Pologne…) ou dans le stéréotype (kalachnikovs, chapkas et alcool à gogo). Les clins d’œil sont parfois gros, comme la table du Kremlin à laquelle s’assoit Boris pour recevoir Chouiski, allusion à celle ayant séparé Vladimir Poutine et Emmanuel Macron. Mais que dire de la toile géante affichant un portrait de Poutine face à celui de Joseph Staline ou encore du Z wagnérien occupant également tout le fond de la scène ? On y voit un décalage entre une dénonciation légitime mais excessive de la géopolitique contemporaine, et une œuvre qui montre justement la complexité du pouvoir et de sa légitimité avec beaucoup de nuance.

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Boris Godounov au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Heureusement, le plateau vocal ne sombre pas dans cette caricature. Andris Poga à la direction musicale propose un orchestre bien réglé et une communication efficace entre les leitmotive de la fosse et la scène, plus particulièrement les cloches tubulaires et leur effet sur Boris. Dans le rôle-titre, Alexander Roslavets peut ainsi proposer un jeu scénique et vocal parfaitement adéquat, montrant les différentes facettes de son personnage tantôt magistral, tantôt sombrant dans la folie. Sa voix de basse évolue au long des tableaux, depuis un ton monocorde stable jusqu’à des excès de nuances et d’émotion qui s’accordent à une gestuelle simple mais efficace. Son dialogue avec Féodor (Victoire Bunel) est très touchant tant la naïveté angélique de la voix de la mezzo contraste avec la paranoïa frénétique de son père.

Marius Brenciu axe davantage ses interventions sur les versants intrigants et fourbes de Chouiski, étouffé et hypocrite face à Boris, plus affirmé et testostéroné lorsqu’il conspire avec la noblesse. Airam Hernández livre un Grigori plus discret alors qu’il aurait sans doute pu être davantage revendicatif de sa voix de ténor que l’on sait pleine de qualités. Mais deux voix surtout méritent des éloges : tout d’abord celle de Roberto Scandiuzzi, magistral et charismatique, livrant un Pimène à la voix de basse implacable et intangible, magnifiant sa place d’érudit en dehors des agitations du temps. L’intervention de Kristofer Lundin interprétant l’Innocent est également remarquable de clarté et d’émotion, alternant les plaintes étouffées et les chants clairvoyants plus affirmés d’une voix touchante et forte.

<i>Boris Godounov</i> au Théâtre du Capitole &copy; Mirco Magliocca
Boris Godounov au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Quant au Chœur du Capitole, qui se démultiplie en intervenant en différents endroits du théâtre (scène, fosse, coulisses, couloirs du premier étage), il montre toute sa force et sa qualité, contribuant à faire de ces représentations un temps fort de la saison 2023-24.

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