Toutes les planètes étaient parfaitement alignées au Palais des Beaux-Arts pour ce concert d'un Belgian National Orchestra en excellente forme et désireux de donner le meilleur de lui-même sous la direction de Hartmut Haenchen. Octogénaire depuis peu, ce chef ne fait peut-être pas partie du cercle des superstars de la baguette mais c'est un modèle de probité, d’exigence et d’honnêteté, qui bâtit avec la formation bruxelloise depuis maintenant plusieurs saisons une intégrale des symphonies d'Anton Bruckner d’une remarquable et constante qualité.

Hartmut Haenchen dirige le Belgian National Orchestra et Octopus
© Belgian National Orchestra

Le défi que le chef saxon et les musiciens de l’orchestre national s’étaient donné n’était pas mince : exécuter la Neuvième Symphonie de Bruckner en proposant  en guise de finale – comme en avait exprimé le souhait le compositeur qui se rendait compte qu’il ne parviendrait pas achever l’œuvre – le grandiose Te Deum, le tout dans un concert-marathon sans entracte dépassant aisément les 90 minutes.

Dès les premiers grognements telluriques de l’immense premier mouvement, l’orchestre sérieusement renforcé (16 premiers et 14 deuxièmes violons disposés antiphoniquement au grand bénéfice de la lisibilité polyphonique, 9 cors) fait entendre des cordes capables d’autant de tendresse et de mystère que d’une impressionnante profondeur de son. Irréprochables de bout en bout, les cuivres (où deux trompettistes sur quatre jouent des instruments de type allemand) font retentir des chorals d’une majestueuse dignité. Comme il le fera tout au long de la soirée, Haenchen fait preuve d’une admirable maîtrise de la tension et du phrasé. La façon dont ce chef d’une rigoureuse intégrité rend la dimension cosmique de la musique par un geste clair et sobre au service d’une parfaite connaissance de la partition est remarquable, tout comme l’est sa maîtrise du temps long dans un discours à la respiration naturelle et fuyant tout effet spectaculaire.

Après les pizzicati des cordes qui introduisent le scherzo, Haenchen rend d’autant mieux le caractère apocalyptique de cette extraordinaire musique qu’il l'empêche de dégénérer en superfétatoire brutalité sonore. C’est bien de la musique qu’on fait ici, pas du rentre-dedans à coup de décibels. La chaleur et la tendresse du trio apportent heureusement un moment de respiration bienvenu avant que ne reprennent les terrifiants martèlements de cette vision d’enfer. 

Suivi par un orchestre qui déploie une magnifique richesse sonore, Haenchen conduit le grand Adagio qui suit avec autant de sûreté que de noblesse. Ayant d’abord mené l’orchestre dans une radieuse ascension vers la lumière, il le guide ensuite avec tendresse dans les réminiscences de ländler, puis réalise pleinement la tragique et puissante apothéose de la musique avant que celle-ci ne se dissolve dans une touchante sérénité.

Et quel choc de passer sans transition à la splendeur festive du Te Deum, où se joignait au Belgian National Orchestra et aux quelques 80 choristes de l’excellent chœur Octopus un quatuor de solistes de luxe, à commencer par la rayonnante soprano Sophie Karthäuser et l’héroïque ténor Ben Gulley ! Moins sollicités, la mezzo-soprano Theresa Kronthaler et le baryton-basse Johannes Weisser sont tout aussi excellents. À nouveau, l’orchestre produit une superbe prestation avec quelques belles interventions de la Konzertmeisterin Misako Akama. Triomphe mérité pour tous les participants, à commencer par Hartmut Haenchen, maître d’œuvre d’une soirée exceptionnelle.

*****