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Le jardin enchanté de Susanna Mälkki dans Le Chant de la Terre au Festival de Lucerne

Par , 09 septembre 2024

Après la respiration Vivaldi en matinée de Lea Desandre et l'Ensemble Jupiter, le mouvement Blumine de Mahler qui introduit le concert sans entracte donné par Susanna Mälkki à la tête de la Staatskapelle de Berlin au Festival de Lucerne vient apporter de manière littérale ce qui sera la couleur générale de la soirée : une note éminemment florale, dès l’exposition du premier thème au cor. C’est rond à souhait, et la transparence de certains glissandos ou la conclusion qui s’épanche en pleine suavité sont un véritable baume pour les oreilles. Et tout embaume alors la rose.

Susanna Mälkki dirige la Staatskapelle de Berlin
© Peter Fischli / Lucerne Festival

Mälkki parvient ici à mettre en place les outils qui lui serviront en deuxième partie, comme ces bombes florales où, régulièrement, l’orchestre gonfle dans un crescendo puis explose musicalement à son acmé. Ou à l’inverse, attaque sur une bulle sonore pour ensuite se défaire, s’étioler en un évanouissement imperceptible. La direction même de la cheffe explore cela, dans une battue assez classique, toujours ronde, mais sans cesse parcourue de micro-climax ou suspensions. C’est tout à fait mahlérien comme approche, d’autant que, par incidence, cela crée toujours du relief à chacune des interventions solistes tout en conservant une attention marquée au discours d’ensemble, avec des arcs musicaux plus ou moins grands.

Dans Le Chant de la Terre ensuite, c’est tout un jardin qui se dessine devant nous, faisant ressortir d’autant plus les formes de japonisme de la composition. Violon, clarinette, flûte, mille et un détails apparaissent par le regard et l’oreille comme autant de richesses de ce jardin enchanté. Dans le quatrième lied (« Von der Schönheit »), le tutti central permet un regard plus omniscient et on retiendra, toujours au cor, l’impeccable trille final.

On aura entendu des interprétations plus acides, corrosives ou angulaires de ce Chant de la Terre (notamment dans la première séquence), mais ici tout invoque une paix intérieure en communion avec ce paysage qui se présente à nous. Quoi de plus naturel en ce sens que d’aller progressivement vers un hiver dépouillé et défait de vie. Dans l'« Abschied » final, Mälkki crée des suspensions plus longues, les cors jouent aux saules pleureurs – toujours l’arc mélodique qui s’épuise –, le bourdonnement en fond des contrebasses, en début de lied puis dans la reprise centrale, est cette couleur zénithale de l’automne finissant.

Wiebke Lehmkuhl, Susanna Mälkki et la Staatskapelle de Berlin
© Peter Fischli / Lucerne Festival

Entre ces respirations orchestrales, le regard sur ce paysage de plus en plus dénudé s’incarne par la voix de Wiebke Lehmkuhl, au timbre chaud de contralto wagnérien, comme une tentative de relancer la vie face à un hiver inéluctable, accompagnée de quelques relances nettes à la harpe puis de motifs presque valsés. On reste sous le charme de cette voix très homogène, constante dans les différents registres. Souvent, sa prosodie proche du parler permet de composer davantage avec l’aspect plus narratif que poétique de ces lieder, comme un Évangéliste dans une Passion de Bach : « Er sprach » dit-elle sans effet, presque a cappella, d’une voix blanche dans « Der Abschied ». Cependant, on la sent aussi parfois en difficulté, comme dans la seconde partie de « Von der Schönheit », où Mälkki décide de presser le pas. Ce sera aussi le cas d’Eric Cutler, toujours aux limites vocales d’une partition véritablement ingrate pour les ténors tant les aigus sont presque tous accompagnés de tuttis assourdissants. Le chanteur américain se montrera toutefois tout à fait complémentaire de la voix de Lehmkuhl, et vaillant de bout en bout.  

****1
A propos des étoiles Bachtrack
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“mille et un détails apparaissent comme autant de richesses de ce jardin enchanté”
Critique faite à Palais de la culture et des congrès: Salle de concert, Lucerne, le 8 septembre 2024
Mahler, Blumine
Mahler, Le Chant de la Terre (Das Lied von der Erde)
Staatskapelle Berlin
Susanna Mälkki, Direction
Wiebke Lehmkuhl, Contralto
Eric Cutler, Ténor
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