Les Violons du Roy présentaient jeudi dernier leur premier concert depuis leur retour d'une première tournée en Asie. Le programme, allant de Purcell à Pärt en passant par Rameau, Elgar et Britten, aurait pu n'être qu'un intéressant pot-pourri s’il n’avait eu comme fil conducteur la thématique des « amours tragiques », notamment autour de la figure de Phèdre. Pour endosser les habits de l'héroïne, l’orchestre a fait appel à la mezzo-soprano britannique Christine Rice, une chanteuse peu connue au Québec mais qui enchaîne les grands rôles au Royal Opera House de Londres – en plus d’avoir été choisie par Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre de Philadelphie pour chanter le Requiem de Verdi au Carnegie Hall.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la chanteuse a été à la hauteur de sa réputation. Avant même la première note de l’air « Cruelle mère des amours » d’Hippolyte et Aricie de Rameau, elle est déjà ailleurs, dans les confins du Péloponnèse, en proie à d’insupportables tourments. Cet investissement scénique ne serait rien sans une voix suprêmement maîtrisée, égale du grave à l’aigu, avec un timbre plein de jeunesse, riche et velouté. Le contrôle du souffle, notamment dans le difficile air « Scherza infida » d’Ariodante de Haendel, est remarquable, tout comme les différentes couleurs que la chanteuse choisit pour habiller le texte de mille nuances. La reprise tout en retenue du même air, ou les sons vitreux obtenus dans « When I am laid in earth » de Didon et Énée de Purcell contribuent à donner un relief inaccoutumé à cette musique.
Le retour de Christine Rice à la fin du concert dans la cantate Phaedra de Britten ne fait que confirmer son talent. La voix prend immédiatement une autre dimension, autant en termes de volume que de sonorité avec, toujours, une identification profonde au personnage. Seule ombre au tableau : la diction. Dès qu’on dépasse le médium, la compréhension du texte devient passablement difficile, en particulier chez Rameau. C’est toutefois un compromis fréquent chez bien des chanteuses et il est heureusement compensé par une splendeur vocale tout à fait singulière.
Le chef Jonathan Cohen est, comme souvent, en grande forme. Les trois extraits orchestraux d’Hippolyte et Aricie constituent une saisissante entrée en matière, on ne peut plus réussie : l'ouverture est prise à bras-le-corps à une vitesse inimaginable, avant un retentissant « Bruit de tonnerre » – chapeau au percussionniste Julien Compagne, qui est presque la deuxième vedette du concert ! L'accompagnement éminemment soigné de l’air d’Ariodante contribue également à donner un écrin de choix à la chanteuse. Dans la Chaconne en sol mineur de Purcell, les sections s’enchaînent avec un agréable naturel, les motifs étant chaque fois bien mis en relief. Le chef a toutefois eu du mal à tempérer son enthousiasme dans Didon et Énée, l’air « When I am laid in earth » étant entamé avec une rapidité inhabituelle – quoique défendable –, pour ensuite graduellement ralentir afin d'épouser un tempo plus modéré, laissant davantage respirer la musique et s'épanouir la voix de la soliste.
En seconde partie, Jonathan Cohen donne un Cantus in memoriam Benjamin Britten plein de ferveur, en plus de faire sortir de l’orchestre de sidérantes sonorités dans Phaedra. Son Elegy de Elgar est également très bien sentie, mais on a l’impression qu’il aurait fallu deux ou trois violons supplémentaires pour obtenir la pâte sonore nécessaire. Le très intéressant Concerto pour cordes de la compositrice polonaise Grażina Bacewicz est toutefois interprété un peu trop gentiment. Le côté astringent de cette musique, assez proche de Prokofiev, ressortirait mieux avec des contretemps plus soulignés et des contrastes plus accusés. La direction de Cohen, assez métronomique, très égale, ne met finalement pas tellement en évidence la folie présente dans l'œuvre. Cela reste toutefois assez peu dans une soirée autrement impeccable.