Vendredi 10 juin l’Orchestre Philharmonique de Radio France emmenait le public à l’Est de l’Europe avec la Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre de Serge Prokofiev et le célèbre Concerto pour orchestre de Béla Bartók. Une soirée peut-être un peu trop sage, dominée par le lyrisme profond et l’intense poésie du violoncelliste Truls Mørk et par le brio et l’engagement des solistes du « Philhar », dirigé au pied levé par la talentueuse et prometteuse Marzena Diakun, remplaçant un Mikko Franck souffrant.
Relativement rare à l’affiche des concerts dans notre pays, la Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre de Serge Prokofiev propose pourtant une exploration très complète des possibilités techniques et expressives du violoncelle et témoigne de la maîtrise d’écriture de son auteur parvenu ici à la fin de sa carrière. Composée pour Rostropovitch, et créée en 1952, soit un an avant la mort du compositeur, l’œuvre requiert un orchestre relativement limité, notamment chez les bois, laissant cependant une place importante aux cuivres et aux percussions. Comme dans un concerto classique, Prokofiev adopte ici trois mouvements et opte pour un langage alternant les longues phrases lyriques et les passages virtuoses, non sans renoncer à une forme d’ironie grinçante et heurtée, se jouant ainsi de la censure contre toute forme de modernité dans l’URSS stalinienne.
Le remplacement in-extrémiste de Mikko Franck par sa jeune et talentueuse assistante n’handicape pas l’interprétation proposée ce soir par le soliste et par l’Orchestre philharmonique de Radio France même si on aurait aimé parfois plus de mordant, de contrastes et de tensions dans la direction de cette œuvre plutôt sombre. Ainsi, l’orchestre attaque le premier mouvement Andante avec panache mais manque tout de suite d’arêtes dans les ponctuations qui soutiennent la longue mélopée du violoncelle, gommant ainsi l’opposition de caractère avec le soliste. Dans la suite du mouvement, on regrette également une trop grande homogénéité dans les dynamiques : la direction de Marzena Diakun efface quelque peu les contrastes, autant dans les moments piano que dans les crescendos aboutissant à des passages forte qui manquent dès lors de plénitude. A l’inverse, dans le second mouvement, Allegro giusto, soliste et orchestre incarnent parfaitement le caractère d’urgence retenue, laissant ensuite s’épancher avec ferveur une longue phrase au violoncelle solo puis aux violons. Truls Mørk offre une cadence virtuose qui pour autant ne cherche pas à briller. Il conserve au contraire une concentration extrême et un caractère sombre qui amènent naturellement la réponse de l’orchestre. Contrairement au premier mouvement, les dynamiques offrent ici une diversité qui favorise les tensions voulues par la partition. Le Finale donne au soliste une grande phrase introductive en forme d’hymne, qui est ensuite reprise par les différents pupitres de l’orchestre sous forme de thème et variations. Ici le tempo relativement lent favorise l’aspect majestueux du passage, même s’il tend à effacer un peu les attaques, notamment chez le soliste. Violoncelliste et orchestre retrouvent enfin un caractère douloureux et lyrique pour achever l’œuvre dans une apothéose emprunte d’une certaine noirceur, accentuant les entrées de cuivres et des percussions, même si ici encore la jeune cheffe retient peut-être légèrement trop le tempo pour laisser s’exprimer complètement la vélocité du mouvement.
Après l’entracte, orchestre et public ont rendez-vous avec une autre grande œuvre du XXe siècle. Composée au milieu de la Seconde guerre mondiale, le Concerto pour orchestre s’est très vite imposé au répertoire des grands orchestres. Ici l’Orchestre philharmonique de Radio France s’étoffe singulièrement par rapport à la première partie du concert, réunissant désormais plus de 90 instrumentistes pour interpréter cette œuvre conçue par son auteur de façon à mettre en valeur chaque pupitre. L’aspect mystérieux de l’écriture est ici rendu avec fidélité par les violoncelles puis par l’ensemble des instruments, chacun se fondant dans un piano intense. Les sections suivantes sont clairement déclamées mais les transitions manquent peut-être légèrement de conduite, brouillant la construction pourtant très claire du mouvement. On aurait aimé ainsi sentir ici plus de retenue, là plus d’urgence dans l’enchaînement des thèmes. Le second mouvement s’ouvre par le célèbre solo de basson. La cheffe adopte un tempo rapide qui accentue la légèreté du début de la pièce, mais elle ralentit ensuite la battue, laissant s’épancher chaque solo, en particulier ceux des cuivres, au risque peut-être d’affaiblir la tension générale. L’Elegia, aux sonorités irréelles, est ensuite conduite de manière convaincante, quoique là encore, les courts silences entre les parties ne sont probablement pas assez exploités, réduisant le caractère théâtral et tragique du mouvement. Dans l’Intermezzo, le large thème des cordes est chanté avec une belle plénitude, s’opposant ainsi avec celui plus ambigu des vents, puis l’ensemble de l’orchestre retrouve des couleurs de fête populaire parfaitement adéquates.
Rapide, enlevé, le dernier mouvement confirme la virtuosité et l’engagement de l’orchestre et sa connaissance intime de la partition, salués par les vivats mérités du public à peine le dernier accord éteint. Les musiciens témoigneront lors des applaudissements de leur admiration pour Marzena Diakun. En effet, si celle-ci manque parfois encore de netteté dans les dynamiques, les contrastes et le mordant pour les œuvres proposées ce soir, et si elle se révèle peut-être par moment trop sage dans sa direction, la jeune cheffe possède un indéniable talent qui ne demande qu’à se développer.