Belle foule à l’Auditorium Marcel Pagnol en ce dimanche après-midi pour les débuts d’Eva Gevorgyan au Festival de La Roque d’Anthéron ! Avec un concert sans entracte et une petite heure de musique, pas de temps à perdre pour la Russo-Arménienne qui ouvre son programme avec la Deuxième Sonate de Rachmaninov. L’œuvre nous est livrée dans un geste aiguisé, tendu. Les textures sont dansantes, chauffées à blanc, avec beaucoup de relief notamment dans le geste accidenté qui amorce la coda. Parmi les grands lecteurs de cette sonate, on pourrait rapprocher cette esthétique d’un Zoltan Kocsis plutôt qu’aux souffles majestueux qui viennent des maîtres de son école, Nikolaï Lugansky et Vadym Kholodenko en tête.

Eva Gevorgyan à La Roque d'Anthéron © Pierre Morales
Eva Gevorgyan à La Roque d'Anthéron
© Pierre Morales

On comprend le choix d’Eva Gevorgyan d’avoir programmé un petit intermède facile et léger entre deux sonates si exigeantes techniquement. La pianiste a donc choisi de se reposer un peu… avec l'une des œuvres les plus difficiles du répertoire : les terrifiantes Réminiscences de Don Juan de Liszt ! Dès cette ouverture intimidante, nous retrouvons le piano percussif et mordant de Gevorgyan, le même qui avait livré une formidable Polonaise op. 44 de Chopin Salle Cortot quelques mois plus tôt. Le geste théâtral de Liszt va particulièrement bien à cette pianiste, autant capable d’habiter le lyrisme du duo qu’une irruption autoritaire du Commandeur.

Les variations de l’Allegretto sont réussies, Gevorgyan attire l’attention, joue de suspensions. Un mot également sur ces gammes superbes, qui chantent à chaque instant. Même tentative réussie d’attirer l’attention sur les derniers accords de la terrible coda : un ralentissement bien senti, un sommet de tension et toute la puissance du piano est enfin utilisée. Une manière de dire qu’ici se trouve le cœur de l’œuvre : riez, fêtez, tout cela se finira en enfer.

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Eva Gevorgyan à La Roque d'Anthéron
© Pierre Morales

On retrouve aussi dans la Sixième Sonate de Prokofiev qui suit la recherche d’une urgence. L'œuvre convient parfaitement au style d’Eva Gevorgyan, à sa façon de prendre ces partitions de front et de les élever le plus haut possible. Ce qui donne une dimension supérieure à cette sonate, en plus de la perfection digitale de l'interprète, de son jeu percussif et spectaculaire, c’est la voix dure, presque ascétique que Gevorgyan est capable de faire entendre. La musique est prise au sérieux et servie par un engagement total.

En premier bis, l’arrangement de Caravan par Art Tatum. Vient ensuite une Polka italienne de Rachmaninov au niveau de réalisation assez hallucinant, au thème d’une décontraction pas encore vue jusqu’ici chez Gevorgyan. Nous la quittons après un Prélude op. 11 n° 4 de Scriabine plein de classe.

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