Favori du Festival d’Avignon où il était invité à présenter ses créations lors des deux derniers étés, le chorégraphe belge Jan Martens est de retour à Paris à la Grande Halle de La Villette avec Futur proche, qu'il avait proposé pour la première fois dans la Cour d'honneur du Palais des papes en juillet dernier. Avec comme toile de fond le péril climatique, l’œuvre interprétée par une vingtaine de danseurs de l’Opera Ballet Vlaanderen reste conceptuelle, alors que le postulat écologique de ce Futur proche semble un prétexte bien lointain, voire indéchiffrable pour qui ne lirait pas la note d’intention.
Futur proche démarre à rideau ouvert, montrant sur scène une vingtaine de danseurs discutant assis sur un grand banc en bois. Une claveciniste, Goska Isphording, les rejoint sur le plateau et égrène les premiers accords d’une virtuose partition soliste de plus d’une heure. Les uns après les autres, les danseurs immobiles s’animent au son de ces quelques notes, dans des mouvements saccadés censés traduire mot à mot la musique. Ces improvisations, quoiqu’un peu scolaires et peu homogènes, révèlent le savoir-faire technique contemporain des interprètes de l’Opera Ballet Vlaanderen, accompagnés de deux pré-adolescentes de niveau amateur.
Une seconde séquence s’amorce où les danseurs décrivent un grand mouvement d’ensemble, marchant et pivotant sur eux-mêmes pour former des quadrillages et de larges cercles autour du banc central. Ce passage aussi abstrait que musical n’est pas sans rappeler les œuvres de la tout aussi flamande Anne Teresa de Keersmaeker. La ressemblance est d’autant plus troublante qu’elle est visible et audible : le clavecin minimaliste évoque à la fois la musique baroque et Steve Reich, deux répertoires chers à la chorégraphe.
Le plateau se dépeuple alors et une caméra posée aux pieds de la musicienne filme et projette sur un écran immense l’image d’un danseur qui se campe devant l’objectif et ondule lascivement. D’autres danseurs le rejoignent et se rapprochent de la caméra en rampant, créant une impression d’étouffement pour le public qui contemple la vidéo agrandie. Cet effet de style est un moment intéressant de la pièce sur le plan scénique, même si l'expérimentation reste un peu scolaire. L’image s’interrompt et un texte apparaît sur l’écran noir : une suite de prédictions écrites en 1900, erronées ou clairvoyantes, imaginant des « villes qui seraient silencieuses », « l’université gratuite » ou l’existence de « raisins sans pépins ».
La pièce aurait pu, et sûrement dû, s’arrêter là. Le clavecin désormais filmé depuis le plafond se lance alors dans un nouveau registre, plus dissonant, et les danseurs, après avoir réalisé d’incompréhensibles grands pliés face au public, reprennent leurs improvisations individuelles dans une cadence plus alarmée. Ce brouhaha sans puissance, dont on suppose qu’il cherche à évoquer la détresse d’un monde en perdition, semble déjà un peu redondant avec la scène du début. Le silence se fait alors, prémisse d’une fin qui approche.
Mais alors, dans une de ces scènes interminables dont il a le secret (cf. la scène des bouteilles d’eau de Rule of Three), Jan Martens clôture sa création, jusque-là un peu lisse, par un finale pénible. Toujours dans le silence, les danseurs déposent une cuve de plastique sur scène et la remplissent seau après seau. Ils se dévêtissent et s’immergent quatre par quatre, dans une inutile lenteur, ressortent, se sèchent le corps et se plantent aux quatre coins de la scène dans des poses en équilibre précaire. En guise de conclusion, qui provoque plutôt l’ennui qu’un sentiment d’apocalypse, un projecteur éclaire un à un les pathétiques fragments d’un finale sans emphase.