Écrites pour clavecin, les Variations Goldberg font partie de ces partitions de Bach qui se sont prêtées à tous les arrangements, transcriptions, transformations, pour trio ou quatuor à cordes, ensemble de saxophones, et jusqu’au jazz bien sûr avec Jacques Loussier ou Brad Mehldau. Les versions pour une ou deux guitares sont déjà nombreuses, et voici que deux jeunes guitaristes français, Thibaut Garcia et Antoine Morinière, s’en saisissent. Bien davantage qu’une interprétation de plus, ils ont conçu leur aventure musicale comme un vaste projet, qui a débuté avec la fabrication de deux guitares par le même facteur, dans le bois d’un même arbre. Il s'est poursuivi avec leur propre écriture de la transcription, l’enregistrement d’un disque et une tournée de concerts, qui s’achève ce soir à Toulouse. Toulouse, ville de naissance et de cœur de Thibaut Garcia…

Thibaut Garcia et Antoine Morinière à Toulouse © Thibault d'Hauthuille / Bachtrack
Thibaut Garcia et Antoine Morinière à Toulouse
© Thibault d'Hauthuille / Bachtrack

Sous les voutes en pierre du magnifique Auditorium Saint-Pierre des Cuisines, deux chaises sont posées au centre de l’immense scène. Les musiciens prennent le temps de s’installer, d’écouter le silence d’un public nombreux et attentif. L’« Aria » est sobre. Morinière chante avec douceur, quand Garcia assure une basse très lisible. L'homogénéité sonore est telle qu'on pourrait imaginer une analogie avec du piano à quatre mains, l’un en prima et l’autre en seconda. Sauf qu’ils ne sont pas sur le même instrument…

On est vite bousculé dans notre imaginaire pianistique : d’une variation à l’autre, c’est un ou l’autre qui détient la ligne de chant. Ou ils intervertissent au milieu d’une variation, comme pour la redoutable 17e. Ou encore ils se partagent une ligne unique comme pour la 29e. Et ces répartitions ne sont pas figées : elles changent d’un concert à l’autre !

La perception des nuances est également un exercice très particulier. Les possibilités des guitaristes sont plus faibles que le piano (qui ne se souvient pas de la dynamique écrasante de la première variation par Gould !) mais elles restent bien sûr plus développées que le clavecin, et donc tout autres et infiniment subtiles. Ce n’est pas un monde binaire en forte-piano que l’on découvre, mais tout un échantillon de couleurs pastels qui sont confondantes de beauté, notamment dans la 13e variation.

Quant aux tempos, ils sont dans l'ensemble plutôt raisonnables, dans une tenue irréprochable de la mesure et une constance de la diction des figures rythmiques, en dépit de leur complexité. Garcia et Morinière n’ont certes pas le souci du croisement des mains, mais ils en ont d’autres, comme les trilles par exemple (la variation 28 !) ou les groupes très serrés (variation 7), qui effleurent les limites de l’instrument. Les deux musiciens jouent toutes les reprises, en les variant de manière très délicate : notes ajoutées (très peu), retards, mordants, mais aussi en utilisant les harmoniques sans en abuser. La caractérisation peut aussi être renforcée par la gestuelle des mains, comme par exemple les mouvements puissants du bras gauche dans l’« Ouverture » médiane.

C’est un éventail chatoyant et doucement irisé que Thibaut Garcia et Antoine Morinière ont ouvert ce soir ; ils le referment d’une « Aria » aussi pudique que la première, dans un silence qui durera très longtemps avant que les applaudissements n'osent le rompre.

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