C’est à une soirée entièrement dédiée à Thomas Tallis que nous conviaient Gli Angeli Genève sous la direction de Stephan MacLeod. Fondé en 2005, cet ensemble réunit d’excellents musiciens que l’on retrouve dans les divers cercles de musique ancienne et baroque d’Europe.
Au programme, pas moins de seize pièces religieuses puisées dans l’œuvre magistrale de Thomas Tallis, compositeur anglais du XVIème siècle. Musicien souvent méconnu du grand public, il n’a eu de cesse de créer une œuvre originale, dans une Angleterre alors en plein changement de Cour et d’Eglise. Partageant sa charge à la Chapelle Royale avec William Byrd, il fut organiste et compositeur pour les rois Henry VIII, Edouard VI, Marie Tudor et Elisabeth I, laissant derrière lui une œuvre considérable dont le fameux motet à 40 voix Spem in alium qui reste un monument de l’art vocal de cette époque.
C’est dans une pénombre monacale que nous pénétrons dans la Cathédrale de Genève, mise en lumière par Claire Peverelli : oui nous sommes conviés à méditer… Les alternances d’effets de lumière permettent, tout au long du concert, d’apprécier les détails architecturaux de cette cathédrale protestante qui frappe d’abord par son dépouillement, malgré les reliquats d’éléments décoratifs liés à son catholicisme originel.
C’est avec le lumineux O nata lux à cinq voix que nous entrons dans l'atmosphère de la soirée entièrement dédiée au compositeur Thomas Tallis. C'est avec le Salvator Mundi, salva nos, que nous avons l'occasion d'apprécier la voix superbe d’Alex Potter, alto. Pleine et mordorée, très enrobante dans les ensembles, sa voix se fait suave et chaude dans ses interventions solistes, emplissant aisément la nef de l’édifice. Un plaisir d’interprétation et de phrasé, donnant aux ensembles un allant et une ampleur toute gothique.
L’Absterge Domine permet d’apprécier les mélismes ascendants des cinq voix et particulièrement les interventions du ténor et de l’alto, d’une richesse et d’un dialogue musical parfaits. Le Loquebantur variis linguis est bien enlevé et l’Alleluia conclusif moiré de mille timbres et couleurs chatoyantes. Quant à l’hymne O nata lux, il est un délice d’équilibre et sa douce homophonie, un repos de l’âme.
L’ensemble vocal est soutenu par un ensemble de flûtes, dont les pupitres s’illuminent en fonction de leurs entrées musicales, rendant l’ensemble plus intime encore …
Alors bien sûr cette musique est d’abord une musique vocale, faisant émerger les voix solistes à travers la polyphonie d’ensemble … On est impressionné par les tutti magnifiques, tels de beaux vitraux, resplendissants de mille couleurs et facettes. Le chaud soprano d’Aleksandra Lewandowska, rayonnant et ample, partage les solos avec Hana Blazikova dont la voix plus droite et moins riche en harmoniques est moins convaincante.
Thomas Hobbs, ténor, donne à entendre un beau timbre riche au médium plein, dont on goûte les inflexions et la diction. Robert Getchell, ténor à la voix plus ténue, parfois légèrement serrée, a ses moments de grâce. Quant à Jan Kobow, son timbre de ténor, plus lyrique, n’a que peu de points communs avec celui de ses deux collègues et semble peu assorti lors des ensembles.
Le socle des voix basses est moins enthousiasmant cependant, se contentant trop souvent d’un rôle un peu morne, avec un Guillaume Olry un peu scolaire, Stephan Macleod plus attentif à sa direction qu’à sa ligne de chant, et Frederik Sjollema, baryton, plus effacé.
Après cette belle soirée à laquelle nous a conviés Stephan Macleod et son ensemble Gli Angeli Genève, on en vient à une réflexion sur l’intitulé de la soirée : « Thomas Tallis, Ils parlaient des langues différentes… ». A ce titre, on peut se demander si, malgré les effets de lumière, malgré les très bons instrumentistes, les solistes talentueux quoique bien inégaux, on eût pas apprécié un programme plus varié, brisant ainsi la légère monotonie qui s’installa au cours de la soirée...