Privé au dernier moment de son Hamlet l’an dernier en raison de la pandémie, l’Opéra Royal de Wallonie en propose ce mois-ci un très charmant écho en streaming, avec des joyaux de l’opéra romantique français. Dans une version de concert (presque) démunie de pupitre pour les trois chanteurs, l’orchestre de la maison liégeoise s’étend sur toute la scène derrière de grandes murailles de plexiglas.
L'orchestre est d’ailleurs une perpétuelle source d’émerveillement tout au long de la soirée. D’une mise en place parfois quelque peu chaotique, Guillaume Tourniaire ne fait pas grand cas et cherche avant tout le lyrisme et la brillance. Et quelle splendeur, quelle poésie il obtient ! On se figure parfois un son « d’orchestre français » qui rappelle les légendaires enregistrements de Munch ou Cluytens. Ainsi lorsqu’on retrouve la légèreté et la transparence orchestrale, les vents très caractérisés, le doux lyrisme, la nervosité et la brillance de ces reliques du disque dans la magnifique interprétation qu’en donne le chef provençal, on ne boude vraiment pas son plaisir. On salue le mystère du prélude de Hamlet, le chant et la souplesse infinie des pupitres de cordes, les extraordinaires interventions de la clarinette de Gianluigi Cardarola installées dans la noirceur et la profondeur du prélude de Werther, l’ambiance caressante et crépusculaire de l’arrivée du héros romantique allemand. De par la précision expressive et le naturel désarmant de sa direction, Guillaume Tourniaire tient le pari de l’intitulé de la soirée : nous livrer une réelle vision de ce que peut être le romantisme à la française.
La prestation est plus inégale du côté des chanteurs. Surtout pour Marc Laho dont les très belles demi-teintes et la superbe diction ne parviennent pas à occulter de grandes tensions vocales. L’extrême légèreté de son timbre apporte de sublimes moments de poésie, surtout lors de son entrée pour l’air « Je ne sais si je veille » mais le confronte rapidement à ses limites vocales dans son Werther comme dans son Nadir où les soucis d’intonation, de vibrato et de nasalité prennent le pas sur la finesse de son interprétation.
On assiste depuis quelques années à l’incursion de Jodie Devos dans l’opéra romantique français avec beaucoup de délectation et sa prise du rôle d’Ophélie était très attendue. La prestation qu’elle nous offre ce jour est plutôt irrégulière. D’une aisance toujours pyrotechnique, quoique parfois un peu tendue, dans les aigus et autres coloratures, elle nous dispense de sublimes messa di voce. On admire également la plaisante naïveté et la fraîcheur de ses interprétations ; papillonnant d’Albert à Werther lorsqu’elle est Sophie ou minaudant curieusement en Ophélie. Pourtant on perd parfois ce caractère et cette éloquence lorsqu’elle se lance dans les grandes lignes de l’air « A vos jeux, mes amis » où la diction devient très floue et l’interprétation presque lisse. Plutôt que ces très abondants pianissimos et autres petites excentricités, on aurait aimé davantage de présence vocale pour donner plus de corps au fascinant personnage shakespearien. La lumière et la rondeur de son timbre, associées à une formidable souplesse dans le lyrisme comme dans le legato, présagent néanmoins d’une future interprète incontournable dans ce répertoire.
Lionel Lhote avait quant à lui la lourde tâche d’incarner les rôles les plus emblématiques du grand baryton français. Et force est de constater qu’il en a bien les épaules : l’aigu est splendide (peut-être au détriment d’un grave absent) et le charisme naturel et volontairement altier construisent un Hamlet véhément, un Albert tendre et un Zurga tempétueux. Si l’on s’agace parfois de quelques sons étriqués, de certaines mollesses dans le phrasé mais surtout de toutes ces intentions et excentricités qui rendent parfois son chant artificiel et fragmenté, c’est parce qu’à l’instant où Lionel Lhote s’en débarrasse, on profite pleinement de toute la splendeur et l’éclat de sa voix. En effet, lorsqu’il donne la réplique à Nadir dans le fameux duo « Au fond du temple saint », on ne peut s’empêcher d’être troublé par l’assurance et la sensibilité qu’il dégage. C’est alors que le baryton belge prouve qu’il est sans conteste un modèle du baryton d’opéra français.
Concert chroniqué depuis l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. Le voyage de Valentin a été pris en charge par l'Opéra.