Vedette de ce dimanche de musique de chambre à l’Auditorium de Lyon, le violoncelle est dans tous ses états : en duo, quatuor, sextuor, octuor seul ou couronné d’une voix, dans des arrangements ou des créations prévues pour cette orchestration. Constants dans leur énergie et leur sens du collectif, écrivant aussi de belles pages de solistes, les huit archets de l’Orchestre National de Lyon ont séduit dans leur programme, qui rend très logiquement honneur au violoncelle baroque, mais n’oublie pas pour autant ni le romantisme, ni la composition contemporaine, grâce à To Dance on Sands d’Edward Nesbit (né en 1986). Évident apogée de ce programme d’une heure : la Bachiana Brasileira N° 5 d’Heitor Villa-Lobos, portée par le soprano resplendissant d’Helen Kearns.
Pour un peu, on se croirait non à l’Auditorium, mais sur les bancs d’église, et on n’aurait pas tout à fait tort : dans In nomine n° 1, à six voix, en sol mineur (Z. 746), Purcell se sert d’une messe polyphonique de John Taverner. Les violoncelles, généreux, s’adonnent au plain-chant avec volupté, avant que leur discours ne s’anime dans la Fantaisie n° 11, à quatre voix, en sol majeur (Z 742), dans un effectif plus réduit, mais tout aussi engagé. Dans l’arrangement du Concerto pour quatre violons en ré majeur (TWV 40:202) de Telemann, l’Adagio porte une intensité harmonique croissante, suivie de petites fourmis industrieuses dans l’Allegro. La gravité et la précision fuguée des troisième et quatrième mouvements mettent en évidence la qualité de l’ensemble dans ce répertoire : chaque instrumentiste alimente le jeu collectif par son énergie individuelle ; c’est un même trait d’archet, en longueur et en mouvement, une même respiration : voilà comment se construit une si belle unité.
S’avance alors un homme pour lire en anglais l’extrait de Shakespeare qui a donné son titre à To Dance on Sands (2013), un hommage à Orphée, qui ferait les Léviathans quitter leurs abîmes « pour danser sur le sable » : bien sûr, c’est Leonard Slatkin, directeur musical de l’Auditorium, qui tient à s’associer par cette lecture aux musiciens de son orchestre… Le soliste expose une mélopée qui rappelle le folklore celtique ; des pizzicati et de longs coups d’archet le soutiennent respectivement dans cette composition originale pour octuor de violoncelles. On danse de fait sur le sable, par la suite : la rythmicité et les vagues ne laissent aucun doute sur l’imaginaire créé par Edward Nesbit, qui, présent pour cette exécution de son œuvre, s’en montre ravi.
La complicité des deux solistes dans le Duo pour deux violoncelles en ut majeur (op. 53 n° 3) fait le succès de cette pièce de Jacques Offenbach. Échangeant leurs parties, entrant dans une stimulante émulation, l’identité de chacun des deux solistes est pourtant bien reconnaissable : un jeu plus léger et élégant de l’un, un engagement physique plus important et, partant, un ethos plus passionnel, de l’autre, producteur dans les deux cas d’une séduisante palette d’harmoniques.
Helen Kearns est placée à l’intérieur du demi-cercle qu’écrit sur le plateau l’octuor. Le tempo choisi pour la célèbre « Cantilena » (ce sera aussi le bis), qui amorce la cinquième Bachiana Brasilieira, est rapide. Le riche timbre du soprano irlandais est parfait pour ce morceau qui, outre la montée jusqu’au si bémol, nécessite une largeur importante des graves et un sens du dramatique dans le récitatif. L’expressivité de la chanteuse est un modèle du genre, pas de grandiloquence inutile, mais du grandiose quand la partition le réclame. On se demande comment, techniquement, elle parvient à émettre, en bouche fermée, ce la aigu final, dans une demi-teinte onirique, tout en restant si parfaitement audible et intransigeante dans la qualité du son. Chapeau aussi pour la « Dansa », mouvement martelé redoutable, qui dépeint les gazouillis des oiseaux du Sertão dans des séquences d’ambiances et de rythmiques extrêmement contrastées – et à nouveau l’expressivité d’Helen Kearns fait des miracles, soutenue par cet octuor attentif, précis et uni.
Après avoir fait un excellent tour de grand huit à l’Auditorium, ne subsiste qu’une question pour l’auditeur, peut-être due à un hasard de distribution : pourquoi cet octuor talentueux ne compte-t-il pas d’archet féminin ?