S’attaquer à I Puritani de Bellini n’est pas une tâche facile pour les metteurs en scène, en raison notamment d’un livret qui multiplie les incohérences. De plus, le compositeur lui-même se concentre moins dans son écriture sur l’intrigue que sur le bel canto de ses protagonistes. Dans son approche qui ouvre la nouvelle saison à l'Opéra Bastille, Laurent Pelly souhaite se tenir à l’essentiel de l’œuvre : son « image mentale ». Avec Chantal Thomas, le metteur en scène fait le choix d’un décor léger : le squelette métallique d’un château anglais, qui ressemble à une esquisse au fusain, mais qui se révèle vite monstrueux. Souhaitant ajouter un dynamisme d’ordre cinématographique, pour multiplier les angles de vue, Laurent Pelly choisit également un plateau tournant. Par sa dimension impressionnante et la tournette sur lequel il repose, ce château rêvé s’impose contre tout, jusqu’à écraser ses sujets, notamment dans le premier acte. Le spectateur est placé dans l’œil d’Elvira et ce plateau tournant traduit son désordre mental, présent ici dès le départ : Elsa Dreisig déploie toute une chorégraphie stéréotypée de la folie. Bien qu’investie totalement, la chanteuse peine à se montrer crédible dans ce registre, si difficile d’ailleurs pour tout acteur. Heureusement, c’est bien différent pour le reste.

Elsa Dreisig (Elvira) et Javier Camarena (Arturo Talbot)
© Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

Avec son timbre clair et brillant, son enthousiasme juvénile, son énergie débordante et sa fragilité, Elsa Dreisig est idéale pour ce rôle. Un des moments les plus mémorables de la soirée reste son interprétation du célébrissime « O rendetemi la speme … Qui la voce sua soave », d’une grande beauté et sensibilité, si poignant dans sa douleur, alors que la chanteuse est dans sa « cage », sous un éclairage bleuâtre, vespéral. Après un début pianissimo évoquant une voix mélancolique venue d'un autre monde, on reste comme suspendu à ses lèvres, on scrute chacun de ses souffles, soupirs ou gestes. La soprano est une fine comédienne et dotée d’une expressivité musicale capable d’épouser une large palette d'émotions : la candeur, le désespoir, la tristesse, la colère, l’exaltation.

Elle trouve un partenaire idéal en Javier Camarena. Habitué à ce rôle, le ténor se donne corps et âme et incarne une fois de plus un mémorable Arturo Talbot, autant vocalement que par son jeu extrêmement touchant, d’une justesse et sensibilité désarmantes, avec la fraîcheur qu’on lui connaît. Pour ne donner qu’un exemple, « A te, o cara » force l'admiration : son phrasé est magnifique, son accent espagnol ne fait que rajouter du charme à sa diction impeccable, sa ligne mélodique est superbement dessinée, avec un timbre chaud, clair, vibrant. Sa voix semble d’une puissance, vivacité et douceur infinies. On regrettera le fait que ce moment musicalement si beau ne soit pas mis en valeur par la mise en scène : le couple d’amoureux est placé dans le lointain, perdu en quelque sorte parmi la foule, sur un pont du château-squelette. On apprécie encore plus la projection du ténor mexicain ainsi que la direction du maestro, Riccardo Frizza, qui arrive globalement à garder un bon équilibre entre la fosse et un plateau souvent étourdissant.

Nicolas Testé (Sir Giorgio) et Igor Golovatenko (Sir Riccardo Forth)
© Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

Une autre performance remarquée de la soirée est celle d’Igor Golovatenko : son timbre ténébreux, son côté corrosif et incisif, son souffle qui paraît interminable, sa présence scénique à la fois autoritaire et élégante lui permettent d’incarner un Riccardo Forth des plus convaincants. Son duo « Suoni la tromba », avec Nicolas Testé dans le rôle de Sir Giorgio, ne laisse pas impassible : c'est un exemple de bravoure, de ferveur patriotique et de virilité. Doté d’une présence scénique magnétique, Testé surprend ce soir par un manque d’éclat avant l’entracte. La suite sera nettement plus convaincante. Le deuxième acte propose d'ailleurs une scénographie plus épurée, incroyable bouffée d’air frais, qui permet de voir et d'entendre mieux les chanteurs.

Si I Puritani est un drame, Pelly trouve un moyen de contrebalancer le sérieux et la noirceur de l’intrigue par le traitement du chœur, en commençant par leurs costumes d’époque réalisés en feutre. Ce textile, qui permet des formes sculpturales, donne aux choristes des allures de jouets. Ces costumes assez lourds ne sont pas sans incidence sur les déplacements et le mouvement des personnages, les rendant rigides – comme la doctrine puritaine : ainsi, le chœur des hommes se transforme en ensemble de pions sur un échiquier, tandis que le chœur féminin se lancera dans une sorte de déplacement chorégraphié qui n’est pas sans rappeler la célèbre danse des tasses du dessin animé La Belle et la Bête.

I Puritani à l'Opéra Bastille
© Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

Les temps forts de cette mise en scène restent cependant rares. La magie est à chercher plutôt du côté des musiciens et de leur chef, Riccardo Frizza. Ce qui impressionne le plus sous sa baguette, c’est la plénitude qui se dégage de l’orchestre et qui gagne ensuite le plateau, se reverse sur ce décor désincarné pour porter sous ses différentes nuances le remarquable chant bellinien des solistes et du chœur.

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