« Mais qui part à la guerre le cœur léger ? » Les trompettes baroques et le tambour sonnent vigoureusement l’entrée en bataille d’Arthur contre les ennemis saxons et leurs sortilèges. C’est aussi le début d’une soirée haut en couleur à la Chapelle de la Trinité, dans laquelle Vox Luminis, remarquable ensemble vocal et instrumental dirigé par Lionel Meunier, a entièrement laissé sous son charme le public lyonnais, grâce à une interprétation éclairant avec autant de justesse que d’enthousiasme les nombreuses facettes du semi-opéra de Henry Purcell.
La vigueur épique laisse bientôt la place au sacré lorsque les choristes entrent en scène en prêtres païens : la version semi-scénique permet tout au long de la soirée des déplacements collectifs et individuels toujours renouvelés, pour le plus grand bonheur du public. Que ce soit pour des moments burlesques (tel l’enivrement des Bretons) ou dramatiques (à l’instar du célèbre Air du Froid, où le redoublement des syllabes mime l’articulation engourdie des personnages transis), l’expressivité est toujours au rendez-vous. On suit, émerveillé, les petites espiègleries des esprits chanteurs bienveillants, comme s’ils étaient tout juste sortis du Songe d’une nuit d’été. On reste suspendu aux lèvres des amants Arthur et Emmeline (car on se situe au tout début du règne arthurien, avant l’ère de Guenièvre !), duo interprété si délicatement. On admire la sonorité délurée des basses à la manière de pêcheurs entonnant un shanty, quand ils illustrent leur consommation de l’enivrant « juice that makes the Britains bold » (le jus qui rend les Bretons gaillards).
Que d’énergie collective déployée pour parvenir à ce résultat magnifique ! Entre les différentes scènes musicales, l’excellent récitant (malheureusement, ni le programme de soirée, ni le site des Grands Concerts ne révèlent son nom – on apprendra par la suite qu’il s’agit de Laurent Bonnet) fait vivre la partie parlée, modernisée grâce aux textes de Simon Robson et Isaline Claeys, qui signe aussi la dramaturgie, variée et pertinente. La réactivité des musiciens est un régal, que ce soit dans l’accompagnement du chœur et des solistes, ou dans les danses en interlude. Entraînés par la verve d’Anthony Romaniuk au clavier, les différents pupitres rivalisent d’implication sur leurs instruments anciens, certains montrant une particulière flexibilité, comme Marianne Soroka, virevoltant entre divers éléments de percussion, ou comme l’entier pupitre des hautbois, tout aussi virtuose aux flûtes à bec.
C’est à ces derniers qu’aime se joindre le maître d’œuvre, le talentueux Lionel Meunier. Intégré au pupitre des basses, ce géant (au sens propre comme au figuré) de la musique ancienne prend aussi à la bouche la flûte soprano, qui crée un contraste presque comique avec sa propre taille. Son amusement est celui de son équipe. La force de Vox Luminis, c’est d’être un organe vocal toujours séduisant, quelle que soit la géométrie : les tuttis sont équilibrés, articulés, nuancés ; les duos ou trios, de femmes ou d’hommes ou mixtes, jamais pris en défaut de justesse et souvent très attendrissants ; les solos, toujours assurés par les choristes, lumineux de conviction et d’expressivité. Quelques voix sortent tout de même du lot, à l’exemple de la soprano Sophie Junker en Cupidon enjoué ou du baryton Sebastian Myrus dans son air frigorifiant.
Rien d’étonnant si les premiers bravos fusent dès l’entracte : la totale complicité et la joie perceptible des chanteurs et des instrumentistes, chacun de leur côté et aussi tous ensemble, font de la partition de Purcell un pur feu d’artifice baroque. On n’a qu’une envie, à défaut de pouvoir se joindre à leur chant : que la fête continue !