Question féérie, Perrault en fait trop, objectent les esprits cartésiens. Clément Poirée pas assez, se chagrinent les amateurs de merveilleux après sa mise en scène de La Cenerentola samedi à l’Opéra de Clermont-Ferrand. On comprend qu’aujourd’hui la Cendrillon du bon petit père Charles ne soit plus crédible avec ses histoires de citrouille magique et de pantoufle. Jacopo Ferretti, le librettiste de Rossini, a tenté de réconcilier les antagonismes en faisant le ménage devant la cheminée où s’active traditionnellement la malheureuse Angelina. Poirée déconstruit le mythe du château et dépoussière le bal de ses fastes. Mais quand même, la belle reste le souffre-douleur de ses viragos de sœurs. La première ne souffle plus sur les braises mais s’active au plumeau, les secondes sont au violon dans un orchestre improbable improvisé par le chœur. Eh oui ! On est transporté sur la scène d’un théâtre et l’on doit s’en satisfaire jusqu’à la fin. D’où un léger sentiment de frustration des amateurs de merveilleux restés sur leur faim, dans des décors objectivement sans fantaisie et peu inspirés semble-t-il par une partition belcantiste qui ne fait pas l’économie d’effets pyrotechniques – on connaît l’ami Rossini.

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La Cenerentola à Clermont-Ferrand
© Ariane Maurisson

A contrario, nul besoin de baguette magique pour le chef artificier Gaspard Brécourt ! Son sens de la précision des pupitres, son goût pour les raffinements chromatiques et son plaisir manifeste à faire chatoyer à sa juste mesure la matière sonore suffisent à électriser les flamboyances de l'Orchestre Opéra Eclaté, phalange d’une splendide cohésion aux timbres joyeusement enivrants. Au point de nous faire oublier la sempiternelle recette vaudevillesque des portes qui claquent à cour et jardin sur les allées et venues des protagonistes. Ces derniers aussi, d’un strict point de vue musical, ne sont pas innocents à la bonne tenue générale, somme toute, de cette Cenerentola.

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La Cenerentola à Clermont-Ferrand
© Ariane Maurisson

Parlons-en de cette Cendrillon ! Lamia Beuque la réinvente avec une facture vocale typologiquement des plus séduisantes. Avec finesse et humour, la mezzo-soprano investit un mélange de tendresse à la féminité toute naturelle et d’une intelligence superbement assujettie au personnage. Elle tort sans regret le cou à la Cendrillon victimisée en oie blanche. Notamment lorsque la pauvre petite Cosette devenue oiseau du Paradis se métamorphose en danseuse de revue. Belle comédienne, l’élève de Brigitte Balleys possède un fort tempérament vocal qu’illustrent des aigus tranchants et limpides. Elle n’a nul besoin de forcer ses talents pour imposer une souplesse d’émission dans des graves soutenus par une technique impeccable, et dispose de cette indispensable pulsion intérieure qui fait tout son charme.

Chapeau bas également devant la double performance de Pierre-Emmanuel Roubet qui s’impose magistralement en Don Ramiro, prise de rôle au pied levé en une poignée de jours après la défection de Camille Tresmontant initialement prévu. Son Prince sait judicieusement allier autorité et éclat, noblesse et passion, mélange heureux de bonté et de style servi par une ligne de chant exigeante et équilibrée. Il répond au truculent Don Magnifico de Franck Leguérinel qui aborde son personnage avec l’à-propos et la vélocité décomplexée exigés. La distribution mise ainsi sur les contrastes des profils psychologiques et des personnalités vocales. Héros romantique belcantiste par excellence et vocation, Roubet est d’autant mieux mis en valeur qu’il s’oppose aux pitreries bouffes assaisonnées de grotesque de Leguérinel.

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La Cenerentola à Clermont-Ferrand
© Ariane Maurisson

De même, Lamia Beuque prête une carrure dramatique d’autant plus émouvante à sa Cendrillon qu’elle la colore d’accents quasi véristes bienvenus. Là encore, l’asymétrie impose sa pertinence face à Morgane Bertrand, piquante Clorinda, et Lucile Verbizier, parfait poison en Tisbé. On savoure le jeu d’ombres et de lumières savant autant que réjouissant entre le Dandini d’Aimery Lefèvre (qui change de costume vocal, de faux prince à vrai valet et parfait séducteur, avec une jouissive dextérité transformiste) et l’Alidoro de Matthieu Toulouse (tour à tour mendiant, précepteur et philosophe avec une virtuosité à semer le doute sur sa véritable identité). Et tout ce beau monde s’en donne à cœur joie grâce aussi à ce diable de Carlos Perez qui conduit le bal des lumières d’une main de maître !

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