Retour à un calendrier traditionnel, nouvelle identité visuelle, réapparition du trait d’union dans son nom, création de l’Académie Favart… Un parfum de nouveauté flotte à l’Opéra-Comique, qui entend ainsi réaffirmer sa vocation et ses missions, avec plus de vigueur. Et pour célébrer ce renouveau, le directeur Louis Langrée a choisi d’ouvrir sa première saison avec La Fille de Madame Angot, fleuron d’un répertoire qui retrouve peu à peu les faveurs du public français.

Après l’immense succès qui couronna sa création en 1872 et se prolongea pendant des décennies, le chef-d’œuvre de Lecocq avait fini par tomber en désuétude. En 2021, grâce au précieux travail du Palazzetto Bru Zane, on a pu assister à une première résurrection en version de concert au Théâtre des Champs-Élysées, puis au disque. Aujourd’hui, fruit d’une coproduction avec le Palazzetto et les opéras de Lyon, Nice et Avignon, La Fille de Madame Angot renaît à la scène, sous la direction d'Hervé Niquet et dans une mise en scène de Richard Brunel, avec la même phalange qu'il y a deux ans et un plateau largement renouvelé.
Le livret de Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning convoque personnages historiques et de fiction dans une intrigue où foisonnent quiproquos et complots politiques et amoureux. Dans le Paris du Directoire, Clairette, fille de la célèbre poissarde Madame Angot, doit épouser le perruquier Pomponnet. Mais l’impétueuse jeune fille, éprise du chansonnier contre-révolutionnaire Ange Pitou, échappe au mariage en se faisant emprisonner après avoir interprété en public la fameuse « Chanson politique » composée par ce dernier. S’ensuit une série de péripéties, à l’issue desquelles Clairette finit par accepter d'épouser Pomponnet, tandis qu'Ange Pitou garde espoir.
Pour adapter cette histoire au goût du public de 2023, Richard Brunel a choisi de situer l’action à l’époque contemporaine, en l’occurrence, en mai 68. Ainsi dans les beaux décors de Bruno de Lavenère (qui signe également les costumes, très colorés et tout aussi réussis), les Halles deviennent-elles une usine Renault en grève, l’appartement de Mademoiselle Lange et le jardin du cabaret de Belleville un cinéma.
Globalement, cela fonctionne… jusqu’à un certain point. Certes les deux périodes présentent des similitudes, notamment en termes de libération des mœurs et de la création. Certes le personnage de Clairette constitue un symbole intemporel du combat des femmes pour leur émancipation. Cependant, le Directoire est omniprésent dans l’intrigue, avec des références précises et des personnages historiques. C’est là que le bât, sans vraiment blesser, gêne tout de même un peu. C’est particulièrement sensible à l’acte II, où le « Cinéma Odéon » se prête assez mal à ce qui est censé se passer dans le salon de Mademoiselle Lange.
Fort heureusement, ce décalage est adouci grâce à quelques jolies trouvailles : clin d'œil aux Demoiselles de Rochefort pour le duo entre Lange et Clairette ; allusions à l’augmentation des prix et à la suppression des pourboires (récemment annoncée au TCE) ; ou encore la substitution de la coquetterie langagière des Incroyables par l’accent anglo-saxon de l’excellent Geoffrey Carey.
La principale richesse de l'œuvre se trouve dans la partition, où s’exprime pleinement les qualités de mélodiste et d’orchestrateur de Lecocq. Et cette musique pétillante, l’Orchestre de chambre de Paris, sous la direction enthousiaste et vivifiante d’Hervé Niquet, la fait vivre et briller dans toutes ses dimensions. Cordes légères et virevoltantes, tuttis galvanisés : la fosse est en fête.
Sur le plateau, Hélène Guilmette, qui est parvenue à gommer son accent québécois dans les dialogues parlés, est une Clairette pleine de ressort et d’énergie. Si sa voix colle parfaitement au tempérament de la jeune femme émancipée, elle manque quelque peu d’ingénuité et de légèreté pour donner plein crédit à la jeune fille du début du premier acte. Loin des rôles tragiques qui l’ont consacrée, Véronique Gens s’amuse beaucoup dans celui de Mademoiselle Lange. Toutefois, alors que les aigus sont toujours très soignés, elle semble à la peine dans les graves.
Pomponnet trouve en Pierre Derhet un interprète idéal, tant vocalement que scéniquement. En équilibre entre comique et émotion, il est à la fois drôle et touchant. Sa romance « Elle est tellement innocente » est un modèle de délicatesse. À l’instar de ses partenaires, Julien Behr prend un plaisir manifeste à donner vie au chansonnier Ange Pitou. Jouant avec le raffinement de sa voix et les différentes teintes de son timbre élégant, son incarnation vocale éclaire avec brio les méandres du personnage. Matthieu Lécroart, quant à lui, campe un Larivaudière très convaincant, avec toute l’autorité d’une voix très bien projetée et ce qu’il faut de noirceur dans le timbre. Les seconds rôles, dont certains sont membres de la toute nouvelle Académie Favart, sont tous excellents. Enfin, le Chœur du Concert Spirituel brille par sa cohésion, sa précision et sa grande contribution à l'énergie qui irrigue cette soirée.