Dans le programme de salle conçu par Angers Nantes Opéra pour sa nouvelle production de La Traviata, la metteuse en scène Silvia Paoli annonce clairement la couleur : ce que nous allons voir n’est pas tant une histoire d’amour qui tourne mal en raison des contraintes sociales de l’époque et de la santé chancelante de l’héroïne que l’absolu désir – forcément condamné à l’échec – d’ascension sociale d’une courtisane dont la seule ambition est de se faire accepter et reconnaître par ce monde de riches et puissants (et en plus misogynes) qui de toutes façons ne voudra jamais d’elle.

<i>La Traviata</i> à Angers Nantes Opéra &copy; Delphine Perrin
La Traviata à Angers Nantes Opéra
© Delphine Perrin

Si cette approche a le mérite de la cohérence sur le papier, elle pèche par la façon dont elle s’évertue, parfois lourdement, à nous montrer des personnages masculins uniquement mus par les conventions et l’hypocrite morale bourgeoise de l’époque au point d’être entièrement dépourvus du moindre sentiment d’humanité (et on ne parle même pas d’amour ou de compassion). Heureusement, c’est Verdi lui-même qui nuance ce propos excessivement radical et le spectateur n’a aucun mal à voir dans les sentiments d’Alfredo à l’égard de Violetta plus que le simple désir de la posséder puis de ne voir en elle rien d’autre qu’une femme vénale. Et oui, Germont est un barbon sentencieux et soucieux de la bonne réputation de la famille, mais il est permis de croire qu’il change sincèrement d’avis sur Violetta à l’agonie, tout comme le médecin pourrait avoir un peu de compassion pour cette jeune femme mourante qu’il ne regarde même pas.

Il n’empêche que la direction d’acteurs de Sivia Paoli est bien claire et ne manque pas de quelques bonnes idées, comme lors du prélude où une danseuse, simplement vêtue de cette même longue chemise blanche que Violetta portera avant de rendre l’âme, fait face à un groupe d’hommes en frac et haut-de-forme qu’on pourrait prendre pour un jury et qu’on retrouvera au moment où Violetta poussera son dernier soupir. Juste avant, on ne verra pas Alfredo et Germont au chevet de Violetta agonisante : la scène sera jouée comme si l’héroïne, dans les délires du trépas, croyait parler aux deux hommes qui lui répondent depuis les coulisses – mais on pourrait tout aussi bien dire qu’ils se dérobent lâchement face à leurs responsabilités. On n’est pas obligé d’adhérer aux partis pris de Silvia Paoli, mais il faut lui reconnaître qu’elle ne travestit pas l’intrigue.

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La Traviata à Angers Nantes Opéra
© Delphine Perrin

Violetta est incarnée ici par la soprano Maria Novella Malfatti, dont la couleur vocale étonne de prime abord. Bien sûr, son personnage ne doit pas être obligatoirement incarné par un rossignol mécanique mais son timbre très particulier nettement ancré dans le grave surprend. Cependant, si les premières excursions dans l’aigu paraissent un peu ternes, ce registre va rapidement s’épanouir, une fois la voix chauffée. C’est une Violetta sensible et digne, aux beaux et amples phrasés, qu’incarne ici la soprano italienne, même si elle ne rend pas tout à fait la touchante fragilité de cette héroïne bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Le ténor Giulio Pelligra est un très bon Alfredo dans la plus pure tradition italienne, à la voix solaire et au jeu assez conventionnel. En dépit du rôle détestable que veut lui faire jouer la metteuse en scène, il n’est pas difficile de croire à sa sincérité. Cette même conception nous vaut un Germont particulièrement odieux, auquel Dionysios Sourbis prête sa belle prestance et une voix particulièrement sonore, même si elle manque de ce velouté qui fait les grands barytons. Mais quel dommage que la ligne de chant soit aussi mise à mal par un vibrato permanent et excessif ! Il convient également de saluer les belles prestations d’Aurore Ugolin qui incarne une Flora pleine de vie, de Marie-Bénédicte Souquet en touchante Annina, et de Jean-Vincent Blot qui impressionne dans le bref rôle du docteur Grenvil.

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La Traviata à Angers Nantes Opéra
© Delphine Perrin

Le tout est placé sous la direction très soignée de Laurent Campellone qui dirige un Orchestre National des Pays de la Loire très en verve et un chœur maison qui apporte une belle contribution à un spectacle invariablement intéressant.


Le déplacement de Patrice a été pris en charge par Angers Nantes Opéra.

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