Laure Baert-Duval, directrice artistique du Festival de musique sacrée et baroque de Froville et son partenaire, Franck-Emmanuel Comte, ne manquent pas de suite dans les idées. Après un concert organisé en 2020 autour de La Francesina (cantatrice française préférée de Haendel), le chef du Concert de l'Hostel Dieu, jamais avare d'un clin d'œil, est venu évoquer avec son ensemble et quatre chanteurs de talent une French Connection entre musiciens de la cour de Louis XIV et vie musicale outre-Manche au XVIIe siècle ! Franck-Emmanuel Comte dit attacher une particulière importance au compositeur Matthew Locke dont des œuvres, avec celles de son cadet Henry Purcell, occuperont durant la soirée une place substantielle avec celles de Lully.

Le Concert de l'Hostel-Dieu
© Jennyy

Inaugurant le concert, l'ouverture de l'opéra Pomone du musicien français Robert Cambert adapté par son compatriote Louis Grabu (présents tous deux sur la scène londonienne de l'époque) confirme historiquement l'influence exercée sur place par des artistes venus de France. Il est donc d'abord donné de (re)découvrir ici ces deux propagateurs du style français. Sans surprise, l'ouverture à la française commence par un mouvement lent et solennel. Soit, mais l'attention est davantage retenue par la sonorité des instruments baroques du Concert de l'Hostel Dieu. Les timbres sonnent avec une âpreté rustique mais la justesse, la finesse des nuances et les accents bien marqués sont aussi séduisants qu'entraînants.

Témoin incontestable de la francomanie musicale anglaise, Matthew Locke tire très largement de la Psyché de Lully son opéra anglais du même nom. La symphony accompagnant la rencontre entre Mars et Vénus est clairement inspirée de Lully mais avec les voix apparaît l'originalité de la langue anglaise. La remarquable articulation du texte chanté par Axelle Verner, Vénus jalouse de Psyché, y apporte toute une vigueur. Les consonnes sont projetées avec une netteté remarquable, rendant les paroles parfaitement compréhensibles. Les accentuations fortement marquées traduisent clairement la nature des sentiments exprimés. Le timbre de la mezzo-soprano riche en harmoniques contribue à une puissante émission du son. Un vif débat s'engage entre Vénus et Mars, incarné par Romain Bockler, baryton doué de qualités vocales analogues à celles de sa partenaire et d'un bel ambitus. Toutes les notes de son registre sont atteintes avec élégance et sens de la théâtralité. Le baryton fera montre quelques instants plus tard d'irrésistibles talents d'acteur burlesque dans le bachique Song of the Bottle.

Le Concert de l'Hostel-Dieu à Froville
© Jennyy

Dans le trio des Elysian lovers, la soprano Cindy Favre-Victoire et la mezzo Axelle Verner affirment à leur tour de belles qualités techniques et artistiques de clarté et d'expressivité. Chacune ajoute cependant certaines formes d'interprétation propres. Le chant et l'attitude de Cindy Favre-Victoire ont un caractère particulièrement touchant partant d'une sensibilité aiguë et d'une vibrante intériorité. On l'entendra aussi dans d'autres parties du concert capable d'une grande délicatesse (Psyché de Lully) ou d'une heureuse légèreté (The Tempest de Humfrey). Axelle Verner se fait entendre avec force et authenticité. Faisant appel aux riches ressources de sa voix à l'ambitus étendu, aux variations d'intensité, de timbre, de nuances très bien maîtrisées elle peut tantôt s'adresser aux hommes, aux dieux, tantôt devenir plus intime avec elle-même. On est emporté par son air d'Amphitrite (The Tempest de Purcell) accompagné d'un hautbois non moins enchanteur.

Parmi les moments forts d'un programme fourni et exigeant, nous retenons l'air d'Ariel (The Tempest de Purcell) aux redoutables mais magnifiques ornementations déroulées sans faiblir par la soprano Gwendoline Blondeel. Sitôt après, il revenait au baryton Romain Bockler d'aborder le célèbre air du froid tiré du King Arthur de Purcell : « What power art thou ». L'image du froid glacial rendue par la voix tremblante, saccadée, à la respiration suffocante et à l'accompagnement instrumental tout aussi suggestif a bien semblé descendre des voûtes de la nef romane de Froville !

Le Concert de l'Hostel Dieu et son directeur musical ont émerveillé le public par la rigueur et la beauté de leur jeu individuel comme d'ensemble. Chaque pupitre a su se montrer à la hauteur des attentes. Qu'il soit permis d'accorder cependant deux mentions particulières pour, d'une part, la véritable fusion opérée entre les chanteurs et le continuo souple et généreux des cordes graves, des cordes pincées et du clavecin d'où le chef dirigeait. D'autre part, chacun a été particulièrement sensible à la flûte et au hautbois de Maria Raffaele, offrant un écho si juste aux voix humaines.


[Note du 10 juin 2021 : Une version précédente de l'article attribuait à tort l'air de Vénus de Locke à Gwendoline Blondeel et non à Axelle Verner. Nous adressons toutes nos excuses aux deux artistes.]

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