En ce jeudi soir, la Halle aux grains affiche un programme qui donne envie. Musique française (Lalo, Ravel, Boulez), anniversaires médiatiques pour les deux derniers nommés, et deux personnalités que le public toulousain découvre : le chef britannique Jonathan Nott, auréolé de ses nombreux engagements (Orchestres de la Suisse Romande, de Tokyo, du Liceu de Barcelone…), et la violoniste espagnole Leticia Moreno, accompagnés par l’Orchestre National du Capitole.

Leticia Moreno, Jonathan Nott et l'Orchestre National du Capitole de Toulouse © Romain Alcaraz
Leticia Moreno, Jonathan Nott et l'Orchestre National du Capitole de Toulouse
© Romain Alcaraz

C’est au croisement de la France et de l’Espagne que le miracle opère : la Symphonie espagnole d’Édouard Lalo est une splendeur. L'œuvre est une des premières partitions hispanisantes du répertoire français, contemporaine de Carmen ; elle ouvre une voie que suivra notamment Ravel. Elle est enlevée par une Leticia Moreno ébouriffante. Une Moreno… à 360 degrés : suivant la ligne mélodique, elle se tourne vers le premier violon, vers la petite harmonie, vers le chef, vers le public… et comme le public est partout dans cette Halle aux grains enveloppante, elle tourne beaucoup !

C’est beau à voir, avec un effet parfois déroutant sur le son : quand les ouïes de son instrument nous tournent le dos, on ne l’entend plus. Mais d’où qu’elle joue, elle est comme ancrée dans le sol, terrienne, avec un son charnel. Quel crin ! On retient un magnifique « Andante », débuté dans un souffle du violon, avec des cuivres magistraux. Le « Rondo » final marque aussi par ses crescendos et decrescendos subtilement interprétés par un orchestre qui respire avec la soliste.

Retour en France avec Ravel : les Valses nobles et sentimentales, suivies de La Valse. Ces deux adieux à la valse comme pièce de salon, qui n’ont en réalité rien de sentimental, sont bien rendues avec leur âpreté. Les entendre enchaînées permet de sentir leur parenté, même si la variété des premières s’oppose au bloc de la seconde. Un point fort de l’interprétation du cycle est justement cette richesse d’articulation et des contrastes dynamiques bien rendus, qui nous font ressentir dans notre corps un chaloupé grisant ou une tendresse évanescente.

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Jonathan Nott et l'Orchestre National du Capitole de Toulouse
© Romain Alcaraz

La Valse enfin met en lumière des instrumentistes splendides (la clarinette basse, les harpes…) dans un ensemble qui roule sur son erre ; on a l’impression que l'Orchestre du Capitole reproduit ce qu’il sait tellement bien jouer, sans que Jonathan Nott parvienne à y poser sa patte. La gestuelle haute et souple du chef, ses deux bras égaux et enveloppants ne semblent pas produire beaucoup d’effets sur les musiciens. C’est peut-être tant mieux ?

Un mot enfin de la première pièce donnée ce soir : les quatre Notations pour orchestre de Boulez. Nott s'y montre à son affaire, lui qui a dirigé l’Ensemble intercontemporain pendant cinq ans. On est saisi par une densité sonore impressionnante et par un sens de la prolifération maîtrisé : l’orchestre en grand, élargi encore par neuf percussionnistes, semble survoler une partition pourtant touffue, suscitant l'admiration générale.

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