L'Orchestre National de France et son directeur musical Cristian Măcelaru ouvrent la saison des concerts de Radio France avec un programme composite. On ne cherchera pas le lien entre le Concerto pour violon de Brahms donné en première partie et les deux œuvres françaises proposées après l'entracte. Sans doute fallait-il attirer un large public avec un tube du répertoire et une soliste reconnue, hôte régulière du National. Objectif atteint !

Julia Fischer, Cristian Măcelaru et l'Orchestre National de France © Christophe Abramowitz / Radio France
Julia Fischer, Cristian Măcelaru et l'Orchestre National de France
© Christophe Abramowitz / Radio France

On se trouve cependant bien embarrassé face à la prestation de Julia Fischer ce soir. Il n'y a rien à redire à la perfection du jeu de la violoniste, mais il n'y a pas grand chose à dire non plus de sa personnalité dans cette interprétation où tout semble trop millimétré, trop propre, trop attendu. Le son même n'est pas très large, le discours n'est certes pas favorisé par un accompagnement statique dans tout le premier mouvement. À aucun moment, dans cette partition si souvent entendue sous les archets les plus divers, on n'est agrippé, captivé, intéressé même. Le hautbois de Mathilde Lebert va-t-il apporter une note de tendresse, d'humanité même dans l'Adagio central ? Comme indifférente à cet appel, Julia Fischer reprend le fil du concerto sans se détourner de sa ligne de rigueur. Dans un troisième mouvement giocoso largement inspiré de mélodies tziganes, elle paraît soudain s'animer, sans jamais atteindre à cette folie, au vertige d'une technique transfigurée, qui sont la marque des plus grands. Cette frustration n'est toutefois pas partagée par un public qui aura droit à deux bis, tout aussi impeccables – la « Sarabande » de la Deuxième Partita de Bach et le Seizième Caprice de Paganini.

La deuxième partie du concert fait cohabiter une compositrice et une œuvre inconnues avec le célèbre triptyque des Images de Debussy. La Deuxième Symphonie d'Elsa Barraine était annoncée en ouverture de concert et il eût sans doute été préférable de l'y laisser. Pas sûr en effet que la juxtaposition de cette redécouverte et de l'un des chefs-d'œuvre orchestraux de Debussy soit à l'avantage de la première. Mais cela aura au moins eu le mérite de nous révéler un Orchestre National en grande forme, beaucoup plus impliqué que dans le concerto de Brahms, et un chef qui reste parfois encore trop prudent, mais à qui les Images de Debussy conviennent nettement mieux que La Mer trop calme qu'il avait donnée en avril dernier.

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Cristian Măcelaru dirige l'Orchestre National de France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Mais attardons-nous sur cette singulière symphonie d'Elsa Barraine (1910-1999), une compositrice très largement passée sous les radars du XXe siècle. Son parcours est étonnant, comme sa musique. Cette œuvre en trois brefs mouvements date de 1938. Elle s'inscrit dans un programme de commandes d'État et est créée par Désiré-Émile Inghelbrecht et l'Orchestre National. L'engagement résolu de la jeune femme, 28 ans à l'époque, en faveur du Parti communiste et de l'URSS lui fait sous-titrer sa création « Voïna » (« La guerre », en russe), et illustrer dans chaque mouvement les tourments de la guerre (« Allegro vivace »), la mort et le deuil (« Marche funèbre ») et l'espoir du retour à la vie (« Finale »). L'ensemble fait beaucoup penser à nombre d'œuvres soviétiques de la même époque, une musique facile d'approche, très illustrative de sentiments positifs. Il y a du Prokofiev, du Kabalevski, mais aussi des couleurs françaises à la Roussel ou Dukas. Les idées sont parfois un peu courtes, mais la jeune compositrice sait manier le grand orchestre et témoigne d'une authentique personnalité. On attend avec impatience le disque que Cristian Măcelaru et l'Orchestre viennent d'enregistrer de ses œuvres.

Le chef a interverti les deuxième et troisième volets des Images de Debussy, au risque de déséquilibrer un triptyque dont « Iberia » constitue normalement le cœur. Mais les applaudissements du public valideront ce choix. Et on aura pu mesurer combien le chef roumain s'est approprié l'univers sonore de ces trois tableaux, même si le geste pourrait être plus souple encore. « Gigues » est superbe de couleurs mais un peu fruste de mouvement, alors que « Rondes de printemps » laisse affleurer les nostalgies de l'enfance. Cristian Măcelaru confère à « Iberia » tout l'imaginaire sensuel et mystérieux d'une Espagne fantasmée et fait rayonner le National au plus haut de sa forme. Il fait au public le cadeau d'un extrait du ballet Callirhoë de Cécile Chaminade (la « Marche des écharpes »). Le National et son chef ont en effet décidé d'offrir des bis de compositrices tout au long de la saison.

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